Les ravitos : on fait fausse route
Une analyse détaillée des principaux aliments présents sur les ravitos au regard des exigences physiologiques de l’effort d’endurance prolongé. Seuls quelques aliments sont adaptés.

Sur une épreuve de trail ou d’ultra-trail, deux configurations s’offrent à nous. Soit nous bénéficions d’une assistance, et dans ce cas, notre nutrition pendant l’effort peut être constituée quasi exclusivement de produits que nous avons soigneusement sélectionnés, testés, re-testés, re-re-testés, et validés à l’entraînement. Soit nous courons en totale autonomie, ou plus précisément en semi-autonomie, grâce aux ravitaillements. Dans ce second cas, si l’on peut emporter une partie de son alimentation, transporter l’intégralité de ses besoins sur une épreuve longue devient vite irréaliste.
Prenons un exemple concret. Sans citer de marque, l’un des gels les plus concentrés du marché fournit 45 g de glucides pour 75 g de produit. Dix gels, c’est déjà 750 g à porter ; 20 gels représentent 1,5 kg ; 40 gels amènent le portage à 3 kg… Si l’on vise un apport conforme aux recommandations minimales de la littérature que je vous avais proposé ici, soit 60 g de glucides par heure, un UTMB couru en 40 heures représente plus de 4 kilos de gels à transporter. Inenvisageable.
En l’absence d’assistance, de nombreux coureurs s’appuient donc, en partie ou en totalité, sur les aliments disponibles aux ravitaillements. Ce choix logique soulève un problème majeur : la composition de ces ravitaillements est souvent en décalage avec les besoins réels des sportifs d’endurance. Au mieux, elle est sous-optimale. Au pire, elle favorise l’apparition de troubles gastro-intestinaux qui risquent d’aggraver la situation de ces pauvres athlètes, déjà délaissés par leurs proches, comptant sur ces quelques points d’appui pour alléger leur effort.
D’autres disciplines confrontées aux mêmes contraintes, comme le triathlon longue distance (Ironman), ont déjà entamé une transition depuis plusieurs années. Sur certaines épreuves, les ravitaillements intègrent désormais des produits de marques reconnues pour leur qualité nutritionnelle, comme Maurten pour les glucides, ou Precision F&H pour l’hydratation. Le trail, en revanche, semble, là encore, accuser un retard.
Dans cet article, je vous propose de reprendre les recommandations issues de la littérature scientifique sur la nutrition et l’hydratation en trail et ultra-trail, puis d’analyser la composition typique d’un ravitaillement « traditionnel ». L’objectif sera d’identifier les produits à privilégier, ceux à éviter, et ainsi éviter que le chemin de croix du traileur solitaire ne se transforme en progressive descente aux enfers.
Rappel des recommandations
Au-delà de 2h30 d’effort, les apports en glucides deviennent cruciaux pour maintenir l’intensité et prévenir la dégradation des performances. Les recommandations actuelles, issues des positions conjointes de l’Academy of Nutrition and Dietetics, de la Dietitians of Canada, de l’American College of Sports Medicine (Thomas et al., 2016) ainsi que du groupe de travail de la DGE (König et al., 2019), convergent vers une cible de 60 à 90 g de glucides par heure pour les efforts prolongés type trail et ultra-trail. Pour éviter les troubles gastriques, il faudrait aussi que ces dosages de glucides soient atteints avec un mélange de glucose (ou maltodextrine, ou dextrose) et de fructose (p.ex. ratio 2:1 ou 1:0.8). Je vous ai détaillé tout cela dans cet article.
À l’inverse, l’ingestion de protéines pendant l’exercice ne montre pas de bénéfice sur la performance lorsqu’un apport glucidique optimal est déjà en place, comme le démontre par exemple la méta-analyses de Stearns et al. (2010). Pire, plusieurs travaux ont mis en évidence que les protéines consommées à l’effort augmentent la fréquence et l’intensité des troubles gastro-intestinaux, notamment en raison du ralentissement de la vidange gastrique et de l’augmentation de l’osmolarité des boissons (p.ex. De Oliveira et al., 2014). Je vous ai également détaillé tout ça ici.
Il en va de même pour les aliments riches en lipides ou en fibres, qui sont difficilement digestibles à l’effort, peu utilisés comme substrats énergétiques à court terme, et associés aux troubles gastriques en contexte d’endurance. La position de Tiller et al. (2019) pour l’International Society of Sport Nutrition est clair sur ce point : les glucides doivent constituer le macronutriment exogène prioritaire à consommer pendant l’effort. de Oliveira et al., 2014 concluent leur revue de littérature par la citation suivante : « des choix nutritionnels appropriés (éviter les protéines, les graisses, les fibres et les produits laitiers) peuvent réduire le risque de troubles gastro-intestinaux gastro-intestinal pendant l'exercice ».
Rajoutons qu’une partie de la littérature recommande également 400mg à 800mg de sodium par heure d’effort (Sawka et al., 2007 ; Thomas et al., 2016).
Je vous en parlerai plus en détail dans un article dédié aux électrolytes. Avec ces éléments en tête, analysons les aliments les plus souvent présents aux ravitaillements.
Analyses des aliments présents sur les ravitaillements
Pour réaliser ces analyses, je me suis appuyé sur les données de la FoodData Central de l’US Departement of Agriculture qui est, à ma connaissance, la base de données la plus poussées en terme de composition précise des aliments. Pour la suite, je vais me concentre sur les teneurs en glucides (glucose et fructose) ; lipides, protéines, fibres, et sodium.
Orange (pour 100g)
Glucides: 11,8 g
Glucose : 4,12 g
Fructose : 4,46 g
Lipides : 0,15 g
Protéines : 0,91 g
Fibres totales : 2,0 g
Sodium : 9 mg
Commentaire :
Apport modéré en glucides. Utile ponctuellement, mais insuffisant seul pour atteindre les 60 à 90 g/h recommandés sur les efforts longs.
Ratio glucose/fructose équilibré (1 :1) donc qui sollicite 2 transporteurs intestinaux, mais peu rapidement saturer ceux à fructose.
Très pauvre en lipides et protéines, et en sodium.
Riche en fibres.
Banane (pour 100g)
Glucides : 20,1 g
Glucose : 8,05 g
Fructose : 7,75 g
Lipides : 0,22 g
Protéines : 0,73 g
Fibres: 1,7 g
Sodium : ~1 mg
Commentaires :
Bonne source de glucides rapidement disponibles, avec une charge glucidique plus élevée que l’orange.
Ratio glucose/fructose équilibré (1 :1) donc qui sollicite 2 transporteurs intestinaux, mais peu rapidement saturer ceux à fructose.
Très pauvre en lipides, en protéines et en sodium : favorable à la digestion, mais nécessite des apports complémentaires en sel.
Faible teneur en fibres, globalement bien tolérée.
Saucisson (pour 100g)
Glucides : 0,94 g
Glucose : 0,82 g
Fructose : 0,12 g
Lipides : 28,2 g
Protéines : 12 g
Fibres : 0 g
Sodium : 827 mg
Commentaires :
Extrêmement pauvre en glucides, ne contribue pas à la stratégie énergétique glucidique recommandée en trail et ultra.
Apport massif en lipides, défavorable à la digestion pendant l’effort prolongé.
Riche en protéines, ce qui peut ralentir la vidange gastrique et accroître les risques de troubles digestifs.
Très riche en sodium.
Aliment typiquement non recommandé pendant l’effort.
Fromage (gruyère, pour 100g)
Glucides : 0,36 g
Glucose : —
Fructose : —
Lipides : 32,3 g
Protéines : 29,8 g
Fibres : 0 g
Sodium : 714 mg
Commentaires :
Quasi dépourvu de glucides, n’apporte aucun bénéfice énergétique pour l’effort d’endurance.
Extrêmement riche en lipides et en protéines, deux nutriments difficiles à digérer à l’effort, susceptibles d’accentuer les troubles gastro-intestinaux.
Teneur élevée en sodium, ce qui peut soutenir la compensation des pertes électrolytiques, mais l’intérêt reste limité en regard des contraintes digestives.
Aliment typiquement non recommandé pendant l’effort.
Gateau (type quart quart)
Glucides : 53,6 g
Glucose : 16,1 g
Fructose : 15,68 g
Lipides : 14 g
Protéines : 5 g
Fibres : 0,6 g
Sodium : 377 mg
Commentaires :
Très riche en glucides, apporte une quantité importante d’énergie, potentiellement utile pour couvrir les besoins glucidiques à l’effort.
Ratio glucose/fructose équilibré (1 :1) donc qui sollicite 2 transporteurs intestinaux, mais peu rapidement saturer ceux à fructose.
Teneur élevée en lipides et protéines, ce qui peut ralentir la digestion et favoriser les troubles gastro-intestinaux à l’effort.
Modérément salé, mais encore insuffisant pour combler les besoins sur ultra, à réserver plutôt aux portions post-effort ou à consommer en très petite quantité.
Bonbon (type tagada, pour 100g)
Glucides: 87 g
Glucose : 37 g
Fructose : 37 g
Lipides : 0,5 g
Protéines : 2,8 g
Fibres : 0 g
Sodium : 10 mg
Commentaires :
Très riche en glucides donc hautement énergétique.
Ratio glucose/fructose équilibré (1 :1) donc qui sollicite 2 transporteurs intestinaux, mais peu rapidement saturer ceux à fructose.
Quasiment dépourvu de lipides et fibres, ce qui en fait un aliment relativement bien toléré malgré sa densité en sucre.
Très peu de sodium : nécessite un complément électrolytique
Chips
Glucides : 53,8 g
Glucose : 0,165 g
Fructose : 0,165 g
Lipides : 34 g
Protéines : 6,39 g
Fibres : 3,1 g
Sodium : 527 mg
Commentaires :
Riche en glucides complexes, mais quasi absence de sucres simples donc digestion plus lente, donc moins efficace en plein effort.
Apport élevé en lipides, souvent d’origine végétale (mais frits), ce qui ralentit la vidange gastrique et augmente le risque de troubles digestifs.
Riche en fibres, ce qui peut poser problème pendant l’effort prolongé selon la sensibilité digestive individuelle.
Teneur élevée en sodium, utile pour compenser les pertes électrolytiques, mais aliment peu recommandé en course.
Chocolat
Glucides : 59,4 g
Glucose : 11,88 g (estimé à partir des 40 % de saccharose)
Fructose : 11,88 g (idem)
Lipides : 29,7 g
Protéines : 7,65 g
Fibres : 3,4 g
Sodium : 79 mg
Commentaires :
Apport énergétique important, avec une haute densité glucidique (presque 60 g/100 g)
Très riche en lipides (près de 30 %), ce qui peut ralentir la digestion et augmenter le risque de troubles gastro-intestinaux en course.
Contient des fibres et un peu de sodium, mais reste un aliment à consommer avec précaution à l’effort, plutôt comme réconfort ponctuel qu’en stratégie principale.
Tucs
Glucides : 67 g
Glucose : 3,55 g (estimé à partir du saccharose)
Fructose : 3,55 g (idem)
Lipides : 19 g
Protéines : 8,3 g
Fibres : 2,4 g
Sodium : 680 mg (équivalent à 1,7 g de sel)
Commentaire :
Riche en glucides (67 g/100 g), mais faible teneur en sucres simples
Teneur élevée en lipides et protéines, ce qui ralentit la digestion et augmente le risque de troubles gastro-intestinaux en course.
Très salé, ce qui peut être intéressant pour recharger les électrolytes, mais à utiliser avec précaution.
Coca cola (pour 100g)
Glucides : 10,4 g
Glucose : 4,1 g
Fructose : 5,84 g
Lipides : 0,25 g
Protéines : 0 g
Fibres : 0 g
Sodium : 3 mg
Commentaires :
Riche en sucres simples, intéressant énergétiquement.
Zéro fibres, protéines ou lipides, donc digeste, ce qui le rend utilisable ponctuellement pendant l’effort.
Apport en sodium quasi nul, donc qui ne couvre pas du les besoins électrolytiques.
Conclusion

À la lumière des données analysées, il apparaît clairement que la majorité des aliments proposés sur les ravitaillements en trail sont inadaptés aux exigences physiologiques de l’effort d’endurance prolongé. Trop pauvres en glucides (comme le fromage ou le saucisson), trop riches en lipides et en protéines (comme les chips, le chocolat ou les tucs), ou encore trop sucrés avec un ratio glucose/fructose de 1:1 (comme les bonbons, le quatre-quarts ou certains fruits), ces produits posent un double problème : ils ne couvrent pas efficacement les besoins énergétiques et favorisent les troubles gastro-intestinaux, notamment en surchargeant les transporteurs intestinaux — en particulier ceux dédiés au fructose (GLUT5), rapidement saturables.
Cette inadéquation rend presque impossible l’atteinte des recommandations scientifiques en matière de nutrition à l’effort, si l’on se repose uniquement sur les ravitaillements traditionnels proposés par la majorité des organisations de course.
Face à ce constat, seule une poignée d’aliments semblent partiellement adaptés :
La banane, pour sa charge glucidique modérée, son profil sucre équilibré, et sa bonne tolérance digestive.
Le coca cola, pour sa richesse en sucres simples et son absence de fibres, lipides ou protéines, idéal pour relancer ponctuellement.
Le quatre-quarts, éventuellement, pour sa densité énergétique, mais à consommer avec parcimonie en raison de sa teneur élevée en graisses.
Tous les autres aliments doivent être considérés avec prudence, voire évités, en particulier en course, dans un contexte digestif fragilisé. Les ravitaillements ne peuvent pas constituer une stratégie nutritionnelle en soi. Ils sont, au mieux, un appoint.
Peut-être que certaines organisations prendront bientôt le virage amorcé dans d’autres disciplines comme le triathlon, en intégrant des produits mieux formulés, simples (comme des pâtes de fruits, dont certaines atteignent un ratio 2:1 grâce à l’ajout de sirop de glucose), ou plus élaborés via des partenariats avec des marques de nutrition spécialisées.
En attendant, une solution concrète reste de compter sur les sacs de vie ou sacs de délestage, de plus en plus fréquents sur les formats longs, pour y glisser ses propres ravitaillements adaptés. Car au fond, je pense que mieux vaut porter quelques centaines de grammes de plus et préserver sa tolérance digestive, que de finir par régurgiter un mélange saucisson-tuc-quatre-quarts inapproprié à l’effort.
À retenir
La majorité des aliments proposés aux ravitaillements sont inadaptés aux besoins énergétiques des coureurs et coureuses
Les aliments les moins inadaptés semblent être la banane et le cola.
En l’attente d’amélioration des ravitos proposés par les organisations, mieux vaut compter sur ses sacs de délestage.
Références bibliographiques
König, D., Braun, H., Carlsohn, A., Großhauser, M., Lampen, A., Mosler, S., ... & Heseker, H. (2019). Carbohydrates in sports nutrition. Position of the working group sports nutrition of the German Nutrition Society (DGE). Ernahrungs Umschau, 66(11), 228-235.
American College of Sports Medicine, Sawka, M. N., Burke, L. M., Eichner, E. R., Maughan, R. J., Montain, S. J., & Stachenfeld, N. S. (2007). American College of Sports Medicine position stand. Exercise and fluid replacement. Medicine and science in sports and exercise, 39(2), 377–390.
Stearns, R. L., Emmanuel, H., Volek, J. S., & Casa, D. J. (2010). Effects of ingesting protein in combination with carbohydrate during exercise on endurance performance: a systematic review with meta-analysis. The Journal of Strength & Conditioning Research, 24(8), 2192-2202.
Thomas, D. T., Erdman, K. A., & Burke, L. M. (2016). Position of the Academy of Nutrition and Dietetics, Dietitians of Canada, and the American College of Sports Medicine: nutrition and athletic performance. Journal of the Academy of Nutrition and Dietetics, 116(3), 501-528.
Tiller, N. B., Roberts, J. D., Beasley, L., Chapman, S., Pinto, J. M., Smith, L., ... & Bannock, L. (2019). International Society of Sports Nutrition Position Stand: Nutritional considerations for single-stage ultra-marathon training and racing. Journal of the International Society of Sports Nutrition, 16(1), 50.
de Oliveira, E. P., & Burini, R. C. (2011). Food-dependent, exercise-induced gastrointestinal distress. Journal of the International Society of Sports Nutrition, 8, 1-7.
Hello, pourquoi sur l’article tu mets les bonbons c’est a éviter mais les Bananes OK?
Merci Merci :)