Des protéines à l’effort : pour vomir oui, pour performer non
Beaucoup de croyances justifient la consommation de protéines en endurance, surtout en ultra-trail. Mais si elles sont si utiles, pourquoi aucune étude ne souligne leurs bénéfices ?
L'ingestion de glucides pendant des exercices d’endurance comme le trail et l’ultra-trail est l’une des stratégies nutritionnelles les plus validées en endurance. Qu’il s’agisse de maintenir la glycémie, de retarder l’apparition de la fatigue ou d’améliorer la performance, les glucides occupent, en tout cas doivent occuper, une place centrale dans votre stratégie nutritionnelle. Je vous expliquais cela dans cet article. Pourtant, depuis quelques années, certains fabricants proposent d’aller plus loin en ajoutant des protéines aux apports pendant l’effort. Cette pratique découle de plusieurs croyances populaires.
D’une part, certains pensent que les apports en glucides étant limités, fournir un carburant supplémentaire avec un autre macronutriment serait pertinent. Une autre croyance, pour le moins aberrante lorsqu’on connait un tant soit peu la physiologie de l’exercice, est celle de la limitation de la dégradation musculaire. Ingérer des protéines (c.-à-d., un des éléments permettant la reconstruction musculaire au repos) permettrait de prévenir les dommages musculaires en trail (induits par la mécanique de la course à pied, et des descentes).
Malheureusement, aucune de ces deux croyances n’est justifiée ou démontrée dans la littérature. En plus de ne pas endosser les effets escomptés, l’ingestion de protéines à l’effort aurait une conséquence que l’on aimerait tous, traileurs et traileuses, éviter à tout prix : augmenter les troubles gastriques. L’ajout de protéines améliore-t-il réellement la performance ? Quel est le prix, au niveau digestif et sur des efforts prolongés comme le trail ou l’ultra de cette stratégie nutritionnelle ? Je vous propose de répondre à ces questions, avec la littérature disponible sur le sujet.
Consommer des protéines est-il bénéfique pour la performance en endurance ?
Si les glucides améliorent la performance, pourquoi ne pas en faire plus en combinant plusieurs substrats énergétiques ? Pour juger de l’efficacité de cette stratégie, encore faut-il comparer ce qui est comparable. De nombreuses études favorables aux protéines présentent un biais fondamental : elles ne contrôlent pas le total calorique entre les conditions testées. Il faut donc faire une distinction essentielle entre études isocaloriques et isoglucidiques.
Une étude isoglucidique compare deux boissons contenant la même quantité de glucides, mais pas nécessairement le même total calorique. Par exemple, une boisson glucidique seule face à une boisson glucidique + protéines : dans ce cas, le mélange protéines + glucides apporte davantage de calories. Une étude isocalorique ajuste les boissons pour qu’elles apportent exactement la même quantité d’énergie. Cela signifie que si des protéines sont ajoutées, la quantité de glucides est réduite en proportion pour garder un apport énergétique constant.
Cette distinction est-elle cruciale car dans une étude isoglucidique, toute amélioration de la performance peut simplement venir du surplus calorique. En revanche, dans une étude isocalorique, on teste réellement l’effet spécifique des protéines en tant que substrat, à apport énergétique égal. Maintenant que vous avez en tête le type d’étude le plus pertinent à considérer, voyons ce que la littérature dit.
La méta-analyse de Stearns et al., 2010
Pour évaluer les effets de l’ingestion de protéines pendant l’exercice, Stearns et ses collègues ont réalisé une méta-analyse portant sur 11 études. Ces dernières incluaient à la fois des tests en endurance de type « temps jusqu’à épuisement », et des efforts « contre-la-montre ».
Les résultats sont sans ambiguïté en ce qui concerne les épreuves « contre-la-montre ». Aucune amélioration significative de la performance n’a été observée avec l’ajout de protéines, que les boissons comparées soient isoglucidiques ou isocaloriques. En revanche, sur les tests en « temps jusqu’à l’épuisement », les résultats semblent favorables aux protéines, mais à condition que les boissons ne soient pas isocaloriques. En effet, les bénéfices observés concernent essentiellement les études dans lesquelles le mélange glucides + protéines apportait plus de calories que la boisson glucidique seule. Lorsque l’énergie totale était rigoureusement équivalente entre les deux conditions, c’est-à-dire dans les études dites isocaloriques, l’ajout de protéines n’avait aucun effet significatif sur la performance.

Ainsi, les auteurs concluent que l’effet bénéfique des protéines résulte principalement de l’apport calorique supplémentaire, et non d’un bénéfice propre aux protéines elles-mêmes. Dès que l’apport en glucides est suffisant, ajouter des protéines pendant l’effort ne procure pas de gain de performance immédiat mesurable.
La méta-analyse de McLellan et al., 2013
En 2013, McLellan et ses collègues ont confirmé ces résultats avec une revue systématique portant sur les effets de la co-ingestion protéines + glucides pendant l’effort, sur la performance en endurance. Cette analyse intègre 28 études. Leur conclusion est limpide : lorsque l’apport en glucides est optimal (au moins 60 g/h pendant l’effort), l’ajout de protéines n’améliore pas la performance, quelle que soit la mesure utilisée.
Les rares effets positifs observés dans certaines études proviennent, selon les auteurs, soit d’un apport calorique supplémentaire, soit de protocoles à très faible ingestion glucidique, soit des conditions peu représentatives des recommandations actuelles. McLellan et al. insistent également sur le fait qu’aucune étude de qualité n’a pu démontrer un mécanisme métabolique spécifique attribuable aux protéines dans ce contexte : ni économie de glycogène, ni amélioration du métabolisme musculaire, ni réponse hormonale favorable.
Leurs conclusions rejoignent celles de la méta-analyse de Stearns et al., en endurance, les protéines n’ont pas d’effet ergogène lorsqu’elles sont ajoutées à une stratégie glucidique déjà optimale. L’intérêt potentiel des protéines réside donc ailleurs, peut-être en récupération, mais pas sur la performance en endurance directement.
Une confirmation récente
Bien que publiée dans Nutrients, un journal dont la rigueur scientifique est remise en question, la méta-analyse de Kloby Nielsen et collaborateurs (2020) confirme les conclusions des études précédentes. Les auteurs ont compilé les résultats de 30 essais randomisés. Lorsque les boissons comparées n’étaient pas isocaloriques, c’est-à-dire dit, quand la boisson contenant des protéines apportait plus d’énergie que la boisson glucidique seule, une amélioration significative de la performance était observée.
En revanche, lorsque les apports énergétiques étaient identiques (études isocaloriques), aucune amélioration de la performance n’était retrouvée. Cette conclusion est valable aussi bien pour les tests de « temps jusqu’à épuisement » que pour les « contre-la-montre ». Cela signifie qu’en pratique, l’effet bénéfique supposé des protéines repose à nouveau sur un apport calorique plus élevé, et non sur une propriété spécifique de ces macronutriments. Autrement dit, si vous consommez déjà assez de glucides pendant l’effort, ajouter des protéines ne vous fera pas aller plus vite.
Les protéines protègent-elles des dégâts musculaires ?
La consommation de protéines pendant l’exercice est également proposée comme un moyen de limiter les dommages musculaires et de réduire les courbatures post-effort. Pourtant, la littérature scientifique actuelle ne permet pas de confirmer de manière claire cet effet.
La plupart des études contrôlées, y compris plusieurs revues systématiques et méta-analyses récentes, montrent que l’ingestion de protéines pendant ou autour de l’exercice n'entraîne pas de diminution significative de la douleur musculaire post-exercice. Une méta-analyse de 29 études menée par Pearson et al. (2023) n’a observé aucun effet global de la supplémentation protéique sur l’intensité des douleurs musculaires jusqu’à 96 heures après l’effort. D’autres travaux (p.ex., Pasiakos et al., 2014 ; White et al., 2008) confirment l’absence d’impact de la consommation de protéines pendant l’effort sur les marqueurs de dommages musculaires.
Il faut impérativement garder à l’esprit que les protéines sont des macronutriments qui permettent (entre autres) le maintien et la reconstruction des muscles (vulgairement) après l’effort, au quotidien, de manière chronique. Ils ne sont en aucun cas utilisées à ces fins pendant l’effort, où le métabolisme est occupé à produire un effort et non à « cicatriser ».
Au vu de ces premiers résultats, les effets des protéines apparaissant uniquement lorsque l’on manque d’apports en glucides (pour vulgariser), on pourrait penser (à tort) que ces dernières sont pertinentes pour les personnes qui ont des difficultés à satisfaire leurs besoins en glucides. Cela serait vrai, si les protéines n’avaient pas en plus des effets délétères sur les risques de troubles gastriques.
Protéines et troubles gastro-intestinaux : un facteur limitant ?
Les troubles gastro-intestinaux sont un problème fréquent chez les athlètes d’endurance, avec jusqu’à 90 % des participants à des épreuves d’ultra-endurance qui ressentiraient au moins un symptôme GI pendant la course (Tiller et al., 2019). Dans ce contexte déjà critique, l’ajout de protéines aux boissons ou aliments de l’effort augmente sensiblement les risques. En effet, les protéines ralentiraient la vidange gastrique et augmenteraient l’osmolarité des solutions ingérées. À l’effort, où le flux sanguin est prioritairement dirigé vers les muscles, le système digestif fonctionne au ralenti ce qui rend tout aliment difficile à absorber plus problématique.
Des études comparatives ont montré que les boissons contenant glucides + protéines entraînaient davantage de symptômes digestifs que les glucides seuls. Par exemple, De Oliveira et al., 2014 concluent leur revue de littérature en soulignant que “éviter les protéines pendant l’exercice […] est un choix nutritionnels appropriés pour réduire le risque de troubles gastro-intestinaux”
En 2007, Saunders et al., ont testé un gel combinant glucides + protéines vs. un gel glucidique seul pendant un exercice d’endurance prolongé. Leurs résultats montrent que les symptômes avec boissons purement glucidiques restent faibles à modérés chez des athlètes entraînés, tandis que l’ajout de protéines tendait à accroître les troubles gastriques chez une proportion non négligeable de sujets.
Une autre étude (Franco et al., 2018) sur l’alimentation en course de 1h a noté des nausées légères à modérées chez 25 % des sujets ayant consommés une boisson contenant des glucides et des protéines, contre 0 à 10 % chez ceux ayant consommés une boisson contenant uniquement des glucides.
En trail long et en ultra, le système digestif est soumis à un tel niveau de stress que même de faibles quantités de protéines, qui pourraient éventuellement être tolérées à l’entraînement ou sur des formats plus courts, peuvent devenir problématiques au fil de la course. Si la dose, la forme (hydrolysats vs protéines entières), la dilution et l’habituation digestive jouent un rôle dans la tolérance aux protéines à l’effort, ces facteurs peuvent devenir secondaires face à la dégradation progressive des capacités digestives à l’effort de longue durée. Dans ce contexte, l’ajout de protéines me semble donc à proscrire, ou à réserver à des individus très spécifiques, particulièrement résistants au niveau intestinal.
Conclusion
L’idée d’ajouter des protéines à sa stratégie nutritionnelle pendant l’effort repose sur des croyances plutôt que sur des preuves scientifiques. Si l’on s’en tient aux données disponibles, la consommation de protéines n’améliore ni la performance en endurance (lorsque les études sont conduites de manière robuste), ni la récupération à court terme via une réduction des dommages musculaires. Pire, leur ingestion pendant l’exercice peut augmenter le risque de troubles gastro-intestinaux, particulièrement en trail et en ultra, où le système digestif est déjà mis à rude épreuve.
Sauf cas très particuliers, et à moins de disposer d’une tolérance intestinale parfaitement éprouvée, l’ajout de protéines pendant l’effort apparaît donc plutôt contre-productif. Pour soutenir l’effort, l’objectif reste de viser un apport glucidique optimal, et de se concentrer sur la digestibilité des glucides qui semblent plus facilement tolérable, ainsi qu’entraînable.
À retenir
L’ingestion de protéines n’améliore pas les performances en endurance.
La consommation de protéines pendant l’effort ne réduit pas les courbatures ni les dommages musculaires.
La consommation de protéines à l’effort peut augmenter les troubles gastro-intestinaux.
Références bibliographiques
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