Gels énergétiques : 4%, 15%, voire 70% d'écart sur les valeurs de glucide annoncées !
Une analyse en laboratoire de 8 marques populaires de gels énergétiques révèle des écarts parfois drastiques entre la composition annoncée, et celle réelle. Faut-il s'en inquiéter ?
Gels énergétiques : nouvelle référence de la nutrition sportive
Dans un article précédent, je vous parlais de l’importance des apports exogènes (cad apportés par l'alimentation) en glucides pour performer en endurance. En trail et en ultra, quand l'effort s’intensifie (p. ex. difficulté à mâcher) et que les distances s’allongent (p. ex. optimisation du poids du portage), les contraintes logistiques du ravitaillement deviennent plus réfléchies.
Les gels énergétiques se sont imposés comme une solution optimale pour beaucoup sur tous les formats, pour plusieurs raisons. Ma lecture en tant que pratiquant est que leur succès repose sur des promesses simples : fournir un apport rapide en glucides dans un format léger, facilement transportable, consommable en course sans mastication, et surtout avec des doses glucides optimales. Ceci est d’autant plus vrai ces dernières années, avec l’évolution des gels. Progressivement, les gels ultra denses et pâteux tendent à disparaître, au profit des gels nouvelle génération plus liquides, plus faciles à consommer.
Pour les athlètes qui suivent des stratégies nutritionnelles précises, ils sont donc un outil pratique, fiable en apparence, et dont l’efficacité repose sur des compositions pertinentes, lisible sur les informations affichées. Mais ce dernier point est souvent tenu pour acquis. Par exemple, lorsque l’étiquette indique 25 grammes de glucides, 100 kilocalories ou 200 milligrammes de sodium, peu d’athlètes remettent en question ces données. Et pourtant, des études récentes ont mis un léger coup de pied dans la fourmilière. Des analyses indépendantes ont montré des écarts parfois considérables entre les valeurs annoncées et les contenus réels. Spoiler : dans certains cas, la quantité réelle de glucides pourrait être inférieure de moitié à ce qui est déclaré, ce qui n’est pas anecdotique et peut avoir un impact direct sur la performance, et le confort gastro-intestinal.
À l’heure où de plus en plus d’athlètes s’intéressent à l’optimisation nutritionnelle et aux données précises, peut-on réellement faire confiance aux étiquettes de nos gels ? Je vous propose d’examiner cette question à la lumière de 4 publications scientifiques récentes, qui, si elles ne sont pas drastiquement alarmantes, peuvent parfois soulever des questions.
Derrière l’étiquette : que disent les analyses de laboratoire ?
Dans une étude récente publiée dans International Journal of Sport Nutrition and Exercise Metabolism, Tiller et Burke (2 pointures de la recherche en nutrition sportive) ont analysé en laboratoire le contenu réel de 8 marques de gels énergétiques parmi les plus utilisées par les athlètes d’endurance. Précisément, ils se sont intéressés à Gu Energy, Honey Stinger, Hüma, Maurten, Näak, Precision Fuel, Science in Sport (SIS) et Spring Energy. L’objectif était de vérifier si les apports en énergie et en macronutriments annoncés sur l’emballage correspondaient à la réalité mesurée.
Les résultats montrent que, dans l’ensemble, les produits testés affichaient une bonne conformité. Sept des huit gels analysés présentaient des écarts inférieurs à 15 % entre les valeurs mesurées et celles indiquées sur l’étiquette, ce qui reste dans les tolérances admises par les autorités sanitaires. C’est le cas, par exemple, des gels de Gu Energy, Maurten ou Science in Sport, qui semblent offrir une relative fiabilité. Cependant, cette tolérance sanitaire questionne ! Car, si un gel Gu Energy, cela représente une variation tolérée correspondant à environ 3 grammes par gel, pour Maurten ou SIS cette même différence s’élève à 6 grammes par gel. Bref, avançons ! Mais 2 marques semblaient dévier plus significativement des valeurs annoncées, Spring Energy et Näak.

Les mauvais élèves …
Concernant Spring Energy, leurs gels affichaient des différences considérables entre les apports annoncés et ceux réellement mesurés. Le produit "Awesome Sauce" contenait 53 kcal au lieu des 180 kcal affichés, soit une baisse de 71 %, et seulement 12,5 g de glucides au lieu des 45 g annoncés, soit 72 % de glucides en moins. D’autres produits de la même marque testés dans une seconde analyse présentaient des écarts tout aussi préoccupants. Il est important de noter que quel que soit le lot ou le laboratoire chargé de l’analyse, ces différences mesurées étaient les mêmes. Dans certains cas, le sodium était 80 % inférieur au dosage annoncé.
Concernant Näak et leur purée “Pomme et sirop d’érable”, cette dernière montrait un écart modéré, mais notable, avec un écart de -12 % entre les kilocalories annoncées et celles réelles, et une différence de -15 % entre la quantité de glucides annoncée et celle mesurée. Si cela peut sembler mineur en comparaison, elle me semble importante à positionner par rapport aux autres produits testés. Sur les 6 autres marques, les écarts entre les valeurs déclarées et celles mesurées étaient comprises entre +3% et -3.5% pour les kilocalories (à l’exception de Hüma à -9%) et entre +4% et -4,5% pour les glucides. Aussi, -12% et -15% semblent de suite plus conséquents.
Ces écarts ont des implications directes sur la performance. Un athlète qui planifie son ravitaillement pour atteindre 90 grammes de glucides par heure en consommant deux gels de 45 g, mais qui en réalité n’en ingère que 25 ou 30, risque rapidement une déplétion glycogénique prématurée, une hypoglycémie, ou une baisse de régime inexpliquée. L’étude pointe également une autre conséquence : un gel dont la densité énergétique est inférieure à celle annoncée peut générer un ressenti subjectif de faim ou de vide énergétique, incitant l’athlète à surconsommer, avec alors un risque accru de surcharge digestive.
Notons tout de même que Spring Energy a reconnu publiquement des défauts de formulation liés à la variabilité de ses ingrédients de base et a annoncé une reformulation de ses produits. Cette étude est donc une première alerte : même dans un marché encadré, la conformité d’un produit à son étiquette n’est pas toujours parfaite, et certaines marques semblent plus alignées avec leurs déclarations que d’autres.
Des problèmes plus profonds ?
L’exemple de Spring Energy soulève une question plus large : celle de la fiabilité globale des produits de nutrition sportive. Si les gels semblent échapper aux problématiques les plus extrêmes rencontrées dans d’autres segments du marché des suppléments, ils n’en sont pas pour autant définitivement à l’abri. Une revue récente conduite par Jagim et ses collègues en 2023, publiée dans Frontiers in Sports and Active Living, a passé en revue les cas documentés de contamination, de falsification et de mauvais étiquetage dans divers produits de supplémentation sportive.
Le constat est préoccupant : entre 10 et 30 % des compléments alimentaires analysés dans les grandes études internationales contiennent des substances non déclarées sur l’étiquette. Ces contaminations concernent principalement des stimulants, des prohormones, voire dans les pires cas des molécules interdites par l’Agence mondiale antidopage (AMA), et touchent en priorité les catégories les plus “sensibles” : pré-workouts, produits amaigrissants, boosters hormonaux. Ces produits ne me semblent pas être parmis ceux qu’un traileur consomme en priorité, même si les pratiques ne cessant d’évoluer, il est légitime de se questionner. Cependant, les circuits de production sont souvent partagés entre les différentes formes de suppléments : poudres, barres, gels. Une usine qui produit une barre enrichie peut utiliser les mêmes chaînes que pour un gel énergétique. Par exemple, une marque que je ne citerais pas mentionne, dans la liste des ingrédients présents dans une de ses barres, “le produit peut contenir des œufs, poissons, soja, lait, gluten et/ou leurs dérivés.”. Pour un produit contenant, normalement, uniquement des glucides et un gélifiant, cela questionne. Le risque de contamination croisée, même à l’état de trace, ne me semble donc pas être nul.
Par ailleurs, les auteurs soulignent que les erreurs d’étiquetage sont fréquentes, y compris dans des produits vendus légalement sur le marché. Il peut s’agir de quantités incorrectes d’ingrédients actifs, d’omissions sur les listes d’ingrédients, ou d’incohérences entre lots. Ce phénomène est aggravé par l’absence de contrôle systématique avant mise sur le marché dans certains pays (comme aux États-Unis, où la réglementation repose sur la surveillance post-commercialisation).
Si les risques liés au dopage involontaire sont moindres pour les gels consommés en trail, un athlète de haut niveau soumis à des contrôles antidopage réguliers ne peut pas totalement écarter cette éventualité. Pour un amateur, ces risques sont avant tout ceux d’un manque de rigueur industrielle pouvant affecter l’efficacité nutritionnelle du produit.
Comment prévenir la consommation de produits contaminés ?
Pour minimiser ces incertitudes, les auteurs recommandent de privilégier les marques qui adhèrent à des protocoles de contrôle qualité rigoureux, notamment via des certifications indépendantes de type Informed Sport ou NSF Certified for Sport.
Ces labels garantissent que chaque lot de produit a été testé pour l’absence de substances interdites, que la composition respecte l’étiquetage, et que les procédés de fabrication sont conformes aux standards internationaux (ISO 17065 notamment). C’est aujourd’hui la seule garantie sérieuse pour l’athlète de consommer un produit fiable et conforme, en particulier lorsqu’il planifie sa stratégie nutritionnelle avec précision.
Il est d’ailleurs “marrant”, au mieux, de noter que les marques du milieu de la nutrition sportive qui se revendiquent les plus “naturels”, “bonnes pour la santé”, “bio”, “saine” sont les grandes absentes des listes de certifications.
En somme, l’étude de Jagim et al. élargit le débat : derrière l’apparente simplicité d’un gel énergétique se cache un écosystème industriel complexe, où les failles de qualité, même rares, peuvent avoir des conséquences disproportionnées pour des sportifs qui cherchent à optimiser chaque détail de leur performance.
Conclusion
Les gels énergétiques ont profondément changé les stratégies nutritionnelles des sports d’endurance. En trail, où une partie de la performance se joue dans la logistique, ils représentent un outil précieux pour optimiser l’apport en glucides tout en minimisant l’encombrement et les contraintes de consommation. Mais à mesure que ces produits se généralisent, leur formulation et leur transparence doivent être scrutées avec rigueur.
Les études présentées dans cet article montrent que si la majorité des marques respectent leurs engagements en matière de composition, certaines dérogent à la règle avec des écarts parfois considérables. Les différences entre les données affichées et les mesures réelles peuvent avoir des répercussions concrètes sur la performance et le confort digestif, voire sur la santé des personnes. De plus, dans un univers où le marketing du “naturel” occupe une place grandissante, certains produits échappent à tout contrôle de qualité, absence de certification, variabilité des ingrédients, formulations peu adaptées à l’effort, et parfois même compositions erronées.
Le gel reste un allié utile, mais il ne doit pas être un automatisme aveugle. Mon conseil sera évidemment de privilégier les marques dont les produits sont testées par des organismes indépendants, et dont la composition réelle a été montrée comme proche de celle vérifiée dans la littérature.
À retenir
La différence entre la valeur annoncée sur l’étiquette et sa composition réelle peut aller jusqu’à 70 % pour les glucides.
Même de faibles écarts répétés peuvent déséquilibrer une stratégie nutritionnelle en course (p. ex. sur-dosage ou sous-dosage).
Privilégier les marques testées et certifiées (type Informed Sport) semble être une première étape vers le choix de produits d’efforts fiables.
Références bibliographiques
Jagim, A. R., Harty, P. S., Erickson, J. L., Tinsley, G. M., Garner, D., & Galpin, A. J. (2023). Prevalence of adulteration in dietary supplements and recommendations for safe supplement practices in sport. Frontiers in Sports and Active Living, 5, 1239121.
Tiller, N. B., Burke, L. M., Howe, S. M., Koop, J., Ohm, J. R., & Burgess, B. (2024). What’s (Not) in Your Supplement? An Energy and Macronutrient Analysis of Commercially Available Carbohydrate Gels. International Journal of Sport Nutrition and Exercise Metabolism, 1(aop), 1-9.