Souvenir. Michel Jazy, la course en montagne et l'équipe de France
Michel Jazy aux multiples records du Monde, adulé dans les foyers, à la une de l’Équipe comme de Paris Match, fut aussi à l'origine des championnats de France de course en montagne.
Il y a tout juste un an, en février 2024, Michel Jazy bouclait son dernier tour de piste. On ne peut imaginer aujourd’hui la popularité de ce champion. Ses records mondiaux de demi-fond étaient retransmis en direct à 20h sur l’une des deux seules chaines de télévision. Vas-y Jazy, voilà le cri d’encouragement offert à tous ceux qui s’essayaient alors à la course à pied !
« Vas-y Jazy », « Tout schuss Killy », « Allez Poupou », ces encouragements des années 60 et 70 ont accompagné mes premières années sportives. Et si je n’ai échangé que quelques politesses avec Jean-Claude ou Raymond, j’ai eu le privilège de côtoyer longuement et de « militer » aux côtés de Michel Jazy. Et s’il y a des hommes qui ne sont pas à la hauteur de leur stature de champion de légende dans leur quotidien, Michel Jazy était, en dehors des stades, bien plus grand que son palmarès pourtant brillantissime. Ils sont nombreux les témoignages de ceux qui l’ont croisé au cours de ces 50 dernières années et qui ont bénéficié de ses conseils et de son soutien.
Sans Michel Jazy, pas de championnat de France de course en montagne ni d’Équipe de France !
Chasseur de records… Et de talents !
Celui qui est parti il y a un an, à 87 ans, avait un palmarès garni de neuf records du monde, de multiples titres de champion de France, de deux titres de champion d’Europe et d’une deuxième place olympique sur 1 500 mètres. L’hommage d’André Giraud, l’ancien Président de la FFA, était sincère :
« Pour le monde de l’athlétisme et pour la FFA, c’est une perte énorme pour tout ce qu’il représentait. Par ses résultats, son élégance, son talent et son sens de l’effort, il aura transmis à des millions de Français de magnifiques émotions. »
Parler de Michel Jazy, c’est remonter le cours du temps. Né en 1936, au sein d’une famille de mineurs polonais, vivant dans un village près de Lille, Michel n’est alors pas assidu en classe, mais il brille en sport, excelle en football et court pieds nus, excepté à dix ans lors de sa première course qu’il boucle en sabots, au milieu des adultes, pour terminer avec les honneurs. Naturalisé Français à 18 ans, il représente à 20 ans son pays d’adoption aux Jeux Olympiques de Melbourne en 1956. Il partage sa chambre avec Alain Mimoun qui glane l’or olympique sur marathon. Une grande amitié était née. Jazy devient une véritable star en France quatre ans plus tard quand il remporte l’argent olympique sur 1 500 mètres. On parlait même à l’époque de « Jazymania » ! Il a brillé du 800 au 5000 mètres. Les chaînes de télévision n’hésitaient pas à retransmettre en direct les tentatives de records du monde de celui que l’on surnommait « l’ange de la piste » … Il parait que même Charles de Gaulle stoppait séance tenante ses activités du moment pour admirer, devant son poste de télévision, Michel Jazy !
Une retraite sportive à 30 ans
On citera seulement son année 1965, avec une floppée de records, dont quatre du monde, cinq d’Europe et neuf de France durant le seul mois de juin. Champion d’Europe du 5 000 m et médaillé d’argent sur 1 500 mètres en 1966 à Budapest, il quitte les pistes en octobre de la même année, à Saint-Maur, en améliorant le record du monde du 2 000 m. Et en fin 1966, à 30 ans à peine, il passe à autre chose. C’était une époque où le temps du sport n’était pas le temps de toute une vie. Il fallait ensuite passer aux choses sérieuses, et s’inscrire dans la vie active. Et actif, Michel le fut avec une reconversion professionnelle très réussie, chez Perrier, chez Adidas, puis à la direction de la Société du Parc des Princes. A côté de cette carrière professionnelle, Michel Jazy a consacré beaucoup de son temps à l’athlétisme, en pur bénévole. A sa mort, Il était toujours le président d’honneur du CA Montreuil, l’un des plus gros clubs de France, qu’il avait rejoint en 1953. Avec une belle fidélité à ce maillot jaune clair en coton délavé qu’il avait arboré lors de ces exploits, en particulier sur la piste mythique du Stade Chéron à St Maur, qui a vu tant et tant de générations de coureurs de demi-fond courir après leurs records personnels.
Faire courir les autres et ouvrir des possibles
Michel Jazy a multiplié les initiatives pour inciter les générations à courir. D’abord sur la piste, avec des soirées dédiées au demi-fond, comme à St Maur ou à Grenoble, avec les fameuses soirées Perrier. Le principe était simple : on inscrivait le temps espéré sur la distance choisie, et on courait une série avec des coureurs de même niveau. Comme beaucoup de coureurs de ma génération, tous mes records sur piste ont été réalisés lors de ces soirées ! Puis en popularisant la course sur route avec des évènements comme les 20km ADIDAS, organisés dans de nombreuses villes de France, avec les fameux Trèfles Adidas, qui ont motivé là aussi beaucoup de coureurs à aller plus loin, plus vite.
Une autre facette de Michel Jazy n’est connue que d’un petit nombre, et constitue pourtant le terreau sur lequel a prospéré la dynamique du trail tel qu’on la connait aujourd’hui.
Les premiers Français à avoir disputé des courses en montagne à la fin des années 70 et au début 80, en Italie, Suisse et Autriche, furent des athlètes du Club des Sports de Serre Chevalier, vivant à Briançon et Gap, avec en fer de lance les frères André, Pierre et Jean. Je les ai suivis, et très vite, j’ai milité pour la création de ce type de course en France, d’abord sans réponse favorable. Michel Jazy est le seul qui m’a entendu, et qui a accompagné ces créations avec enthousiasme. La première équipe de France de course en montagne est partie en Italie en 1986, de façon officieuse, validée et financée par Michel Jazy, alors Vice-président de la FFA, via ADIDAS. Les autres ont suivi en 1987 et 1988, toujours semi-officielle, autorisées mais non financées par la FFA. En suivant, devenu président de la commission nationale devenue hors-stade, Michel a été un relais efficace et déterminant pour convaincre Robert Bobin, devenu président de la FFA, pour organiser le 1er Championnat de France de Course en Montagne aux Arcs en août 1989, et pour autoriser la tenue en France de la Coupe du Monde de Course en Montagne à Die en septembre 1989.
Le train était parti, et il n’allait pas s’arrêter !