Courir à quoi ça sert ? A quoi tu penses quand tu cours… Chaque coureur a eu à répondre à cette avalanche de questions. Et sans réponse évidente, tout au moins sans une réponse qui fasse l’unanimité. En fait, courir c’est vivre, c’est ressentir, s’engager, souffrir parfois, être heureux souvent. Et mieux apprivoiser le temps qui se sauve à l’allure d’un Jim Walmsley au mieux de sa forme !
J’aime souvent prendre des exemples simples pour faire « ressentir de l’intérieur » des choses parfois bien complexes. Par exemple, comment rendre compte simplement du temps qui passe, du temps de la conscience, ce moment où l’on cherche à arrêter l’instant, quand le passé s’éloigne, et qu’arrive le futur ?Comment arrêter l’instant ? Comment saisir de quoi est fait ce moment dont on ne sort jamais : le présent ? Premier exemple, il suffit d’écouter de la musique : la mélodie n’existe que par letemps qui « dure » dans notre éveil au monde ! La note qui fuit déjà est encore dans notre oreille quand nous sommes immergéspar la note de l’instant, en entendant déjà la note à venir. De cette alchimie entre passé, présent et futur mêlés nait l’harmonie. Ou le chaos… C’est la même chose pour notre temps intime et personnel, pour notre vécu de chaque moment, pour notre capacité à réagir dans l’instant, dans un mélange d’émotion, de réflexion, de sensation. La course à pied, le trail en particulier, nous permet de ressentir puissamment cette matière du temps.
Le passé s’inclut dans un présent qui intègre déjà le futur.
Quand on court, la fatigue s’installe, elle est le fruit du temps passé en chemin, de l’intensité que l’on a engagée, et devant nous il y a le chemin qui reste à parcourir avant l’arrivée. Notre instant présent est pétri de cette fatigue, et dans l’instant, tout notre corps, physique et mental à l’unisson, s’organise pour durer ! Comme une métaphore de la vie… Pour des notions comme le temps, c’est finalement assez simple à ressentir. Allons plus loin avec le bonheur ! On cherche tous à être heureux et on y court après, de peur qu’il ne se sauve… Le trailer se donne un objectif de course, se prépare, engage sa communauté – famille, amis - dans ce défi, et se retrouve enfin avec son dossard sur la ligne de départ, ému d’être si près de son rêve. Il croit dur comme au fer au bonheur au bout du chemin ! Et pourtant, qu’il réussisse ou qu’il échoue, il sera déçu. Il n’aura pas trouvé un bonheur durable, une fois passée la fugace liesse de l’arrivée. Comment en aurait-il été autrement ? Au fond, tout s'oppose à un bonheur durable : la vie, les autres, trop de tumulte et de désirs, l'état du monde, ce fracas de périls et de guerres. Le bonheur échappe toujours à celui qui le cherche trop fort, trop vite, au bout du chemin. Le bonheur n'existe pas, c'est comme ça, il est tout simplement le chemin, fait de moments de joie parfois, de peines souvent, d’incertitudes permanentes.
C’est ça la vie… C’est comme un ultra-trail !
Cela n’a de sens que parce que l’on s’y engage avec fougue, avec foi, et sans les épreuves subies inéluctablement en chemin, la vie ne serait pas la vie. Le secret, c’est d’aimer la joie, pas le bonheur ! La joie de vivre, d’être là, voilà qui est bien réel. Le secret, c’est de rester vivant, pour aimer toute la vie, prendre tout de la vie, le bon comme le mauvais, le plaisir comme la peine. En chemin… toujours !