Pour mieux comprendre l’expérience coureur !
De la ligne de départ aux réseaux sociaux, le trail s’est bâti autour de rites partagés. Entre marketing, besoin d’appartenance et codes communautaires, il rejoue les logiques ancestrales du groupe.
Dimanche dernier, j’ai participé à une course. Tout y était de ce qui fait le trail d’aujourd’hui !
Le cérémonial fut complet : le cadeau d’accueil avec le dossard, la holà de départ avec la musique « entrainante » et son cortège de fumigène et d’émotion, les barrières horaires calculées pour permettre au plus grand nombre de continuer le chemin, l’arrivée en fanfare et son tee-shirt finisher, l’animateur endiablé, le grand visuel pour se prendre en photo, le stand de bière pas loin…
Une ritualisation désormais routinière que les « pros » appellent l’expérience coureur, faite avant tout pour donner du poids à l’instant, déclencher le travail d’ « héroïsation », et commercialiser le tout à bon prix... Et tout cela, on le fait ensemble, avec le groupe qui partage les mêmes valeurs, en partageant ce moment avec toute sa communauté virtuelle via les réseaux sociaux !
Pendant la course, voyant tout le cérémonial en place, j’ai cherché à comprendre ce tourbillon dans lequel moi-aussi je me laissais prendre et entraîner avec gourmandise. De Claude Levi-Strauss dans Tristes Tropiques à Pierre Bourdieu, dans la Distinction, l’explication de ce qui fait le propre de l’homme est finalement semblable. En simplifiant au maximum : partout où l’homme développe une forme de vie, là où il se déploie, il se constitue en groupes affinitaires.
Ce groupe affinitaire, solidaire, délimite son territoire « d’expression », et le défend face aux autres groupes. L’homme, dans son groupe, ritualise ses gestes, organise son temps, sacralise des objets, hiérarchise les fonctions de chacun, et crée du sens pour forger son chemin, canaliser ses angoisses, puis peu à peu écrire son histoire.
Toujours, le groupe désigne des « idoles », et se réfugie dans une forme de vie identitaire et inclusive. Cette communauté de vie, cette ritualisation de pratiques forgées autour d’une « légende », mêlent ce que l’on doit croire et la manière de se comporter ensemble, déterminant le bien et le mal, le bon et le mauvais, le « ce qui se fait » et « ce qui ne se fait pas ».
Avec cette caractéristique qui est le propre de l’homme et que je rappelle souvent : la capacité à s’adapter pour survivre, partout, quelles que soient les conditions extérieures, des steppes polaires du Groenland aux dunes surchauffées du Sahara. Comme Mathieu Blanchard qui va du Marathon des Sables au froid glacial du Yukon !
Autre caractéristique inhérente à l’humain, chaque groupe inclusif, apte à vivre dans « son » environnement, n’accepte en son sein que les « mêmes ». Pour s’y introduire sans rejet, il faut en accepter la légende et en adopter les « justes » comportements. Ce que je viens de décrire - en simplifiant, donc en ouvrant à la critique - n’est pas un jugement, c’est un invariant factuel, sociétal et historique, des premiers hommes des cavernes aux sociétés les plus sophistiquées. Nier ce réel factuel, c’est penser le monde avec le prisme d’une utopie qui empêche d’y interagir avec pertinence et efficience !
Pour être accueilli à bras ouverts dans un groupe, il faut donc en accepter les règles et les croyances. La seule option réaliste pour en changer les usages, c’est d’en devenir une légende pour à son tour y insuffler de nouvelles valeurs…
Photos © Vincent Gaudin