Le principe d’archimaigre !
Quand je compulse mes archives photos depuis 2003, le contraste est saisissant. Les meilleurs ultra-traileurs des années 2000 avaient les épaules solides et la cuisse musculeuse.
Aujourd’hui, à l’instar des marathoniens, et des cyclistes pro, les silhouettes s’affinent et les joues se creusent.
C’est une contrainte de la vie de journaliste : les archives photos vieillissent très vite ! Si les paysages et les montagnes ne changent pas, à part bien sûr les glaciers qui rétrécissent, ce qui démode le plus vite les images, ce sont les vêtements et les équipements. Difficile aujourd’hui d’illustrer un texte d’actualité sur l’UTMB en utilisant des photos avec des coureurs « compressés » en tenue blanche… Tout comme d’accompagner un portrait d’un athlète avec un visuel le montrant arborant des équipements de ses anciens partenaires alors qu’il revêt -et promeut- de nouvelles couleurs !
La morphologie des vainqueurs change !
Un autre paramètre date également les photos. Les premiers vainqueurs de l’UTMB étaient plutôt « charpentés », bien différents du morphotype marathonien, comme Dawa Sherpa, Vincent Delebarre ou Christophe Jaquerod. Aujourd’hui, les meilleurs ultra traileurs tendent à ressembler à de fins marathoniens d’élite, comme Jim Walmsley, Vincent Bouillard et même Kilian Jornet qui au fil des ans allège sa silhouette et assèche ses muscles. Courtney Dauwalter ou Katie Schide arborent elles aussi une ligne affutée et une musculature fine, qui les distinguent des championnes des années 2000 comme par exemple la solide Corinne Favre, première vainqueur au scratch d’une épreuve du programme de l’UTMB, la CCC. Par-delà l’impératif de courir toujours plus vite sur les ultras pour l’élite, la perte de poids est-elle désormais dans le trail devenu un paramètre indispensable de la performance ?
Le cyclisme pro comme précurseur de la maigreur
La même analyse de l’évolution des morphologies prévaut encore plus dans le cyclisme. Il n’y a plus rien de commun entre la solide stature de Bernard Hinault ou de Jan Ulrich, voire même Lance Amstrong, et la frêle allure de Tadej Pogačar et Jonas Vingegaard. Je me souviens de ma surprise, lors du passage chez moi à Gap en 2015 du Tour de France, en apercevant dans les coulisses Christopher Froome torse nu. Son état de maigreur m’avait fait peur ! Peut-on encore parler là d’un « poids de forme », notion évoquée et bien mal nommée pour décrire cette limite basse de poids où un sportif est censé être le plus performant. Pour l’avoir recherché moi-même, et en avoir subi les effets, je dirais que ce poids de forme est en fait l’exact opposé d’une pleine santé ! Il s’agit plutôt d’un « poids de performance », un moment éphémère, difficile à bien calibrer, propre à chacun et évoluant au fil des saisons, permettant certes la performance optimale d’une courte période mais ouvrant à des déséquilibres de santé qui peuvent eux être durables.
Le bon exemple de François D’haene et Pauline Ferrand-Prévot
Si connaitre ses limites et parvenir à son poids de forme sont désormais des nécessités pour performer au plus niveau, cette recherche de légèreté doit être un moment court et programmé dans l’année. François D’haene me confiait la nécessité pour lui de prendre quelques kilos lors de sa coupure de fin d’année, puis de revenir dans le jeu au fil des semaines avec du ski alpinisme suivi d’une reprise progressive de la course. Ces phases lui permettant d’être au top en cours d’année pour ses principales échéances. Quant à Pauline Ferrand-Prévot, elle a tenu à témoigner du contexte de sa perte de 4 kilos dans les semaines précédant sa récente victoire sur la grande boucle, déclarant avoir atteint ce poids seulement pour le Tour de France : « Je ne veux pas rester comme ça, je sais que ce n’est pas 100 % sain. Mais tout est sous contrôle, sans excès, et j’avais encore de l’énergie après neuf jours de course. »
L’expérience et la sagesse comme compagnons de chemin
La recherche de performance ultime est une quête plus que légitime pour les athlètes d’élite, dans le trail comme ailleurs. Alors comment gérer cette nécessaire « légèreté corporelle » sans aller trop loin, et surtout sans compromettre sa santé à court, moyen ou long terme. Se faire accompagner par des spécialistes reconnus et qualifiés est une exigence. Mais bien plus encore, il faut apprendre à maîtriser ses données personnelles, issues de l’entraînement au long cours et des résultats successifs en course, en les associant à l’analyse de ses ressentis.
Tout est là : se connaitre, éprouver ses limites, et bien savoir que la vie est longue après une carrière de haut-niveau. Et que ces années peuvent être belles si on n’a pas trop hypothéqué son organisme !