Le 30-30 : rébarbatif et sous-optimal !
Pour les pratiquants de trail court comme d'ultra-trail, le travail à haute intensité est primordial. Si pour beaucoup celui-ci est synonyme du fameux "30-30", la littérature semble plus joueuse.
Le VO2 max, ou consommation maximale d’oxygène, est un indicateur clé de la performance en trail et ultra-trail. Ce paramètre reflète la capacité de votre organisme à consommer et utiliser l’oxygène pour soutenir un effort aérobie. Plus votre VO2 max est élevé, plus vous êtes capable de maintenir une haute allure pendant une période donnée. Cela se révélera certainement être un atout indéniable en trail, principalement en côte et à plat (pour les descentes, nous verrons plus tard).
En trail et ultra-trail, la littérature a identifié VO2 max comme un des meilleurs prédicteurs de performance (parmi d’autres, évidemment). Comme nous l’avons discuté dans un article récent, il joue un rôle crucial sur toutes les distances, qu’il s’agisse de trails courts ou d’ultra-trail (Sabater-Pastor et al., 2022 ; 2023). Le traditionnel entraînement fractionné "30-30" est souvent cité comme la référence pour développer le VO2 max et travailler intensément. Cependant, la littérature scientifique est loin de confirmer cette pratique comme optimale, laissant place à d'autres stratégies potentiellement plus efficaces. Quitte à s’entraîner dur, autant optimiser ces moments …
Maintenant que mon article précédent vous a convaincu de l’importance du VO2 max, je vous propose de discuter de comment le développer efficacement, et de confirmer, ou non, l’utilité de ce fameux 30-30 qui a, malheureusement, la peau dure.
Peut-on améliorer VO2 max ?
Le VO2 max est influencé par plusieurs facteurs, notamment génétiques, physiologiques et environnementaux. Si la génétique fixe une limite théorique à votre capacité maximale, il est admis qu’un entraînement adapté peut significativement améliorer ce paramètre (Bacon et al., 2013, méta-analyse).
Oui, un peu
Des études montrent que le VO2 max peut augmenter grâce à des entraînements spécifiques. Par exemple, un entraînement par intervalles à intensité élevée a augmenté le VO2 max de 5,5 % à 7,2 % chez de jeunes adultes (Helgerud et al., 2007). Dans une autre étude, un entraînement à intensité proche du maximum avait entraîné une augmentation allant jusqu’à 20,6 % (Gormley et al., 2008).
Il est important de noter que les progrès sont souvent plus marqués chez les débutants, alors que les athlètes confirmés atteignent plus difficilement des gains significatifs, car ils se rapprochent déjà de leur plafond génétique (Lundby et al., 2017).
Des différences sexuées
Une méta-analyse récente (Diaz-Canestro et al., 2019) a révélé que, bien que le VO2 max puisse être amélioré chez les hommes comme chez les femmes, les hommes enregistrent souvent des progrès légèrement supérieurs. Cela s’explique en partie par une masse musculaire plus importante et un volume cardiaque souvent supérieur chez les hommes. En outre, les systèmes cardiovasculaire et mitochondrial semblent répondre différemment à l’entraînement, ce qui pourrait également contribuer à ces différences.
Résultats de Diaz-Canestro et al., 2019.
Cependant, ces écarts ne doivent pas masquer le fait que les femmes tireront profit d’un entraînement adapté.
VO2 max ne se développe pas pareillement chez tout le monde
Plusieurs éléments influencent la capacité d’un individu à améliorer son VO2 max :
Certains incontrôlables : Par exemple la génétique joue un rôle clé en fixant une limite théorique à votre VO2 max (Williams et al., 2017).
L’entraînement et les qualités des séances programmées.
Le développement du VO2 max dépend donc de la combinaison de ces différents facteurs, mais la qualité et la structure des séances d’entraînement restent déterminantes. Voyons donc maintenant comment optimiser ces séances.
Améliorer sa VO2 max en 5 points
Le travail fractionné à haute intensité est reconnu comme une méthode efficace pour améliorer le VO2 max. Il combine des périodes d’effort intense et de récupération, permettant de maximiser un certain volume de travail dit « à haute intensité ». La littérature a montré que ce type d’entraînement était significativement plus efficace que les méthodes d’entraînement plus continus (Wen et al., 2019).
Résultats de Milanovic et al., 2015 et Bacon et al., 2013
Des intervalles longs
La méta-analyse de Rosenbalt et al. (2020) a démontré, statistiquement, que les intervalles longs (> 2 minutes), et en particulier ceux compris entre 2 et 4 minutes ou supérieurs à 4 minutes, produisaient les bénéfices les plus significatifs sur le VO2 max, comparativement aux fractions inférieures à 2 minutes (p. ex., 30-30).
Résultats de Rosenbalt et al., 2020 et 2021
Ces résultats sont cohérents avec ceux de la méta-analyse de Wen et al. (2019), qui conclut également que les intervalles doivent être supérieurs à 2 minutes pour être efficaces.
Il faut que ça pique
Pour démontrer des effets, l’intensité du travail par intervalles doit être supérieure à ce qui est réalisable en travail continu. La méta-analyse de Milanovic et al. (2015) recommande de travailler entre 85 % à 100 % de la fréquence cardiaque maximale (FCmax).
Les intervalles à faible intensité (par exemple, 70 % du VO2 max) semblent nettement moins efficaces (Wen et al., 2019).
15 minutes, pas moins
Le temps de travail cumulé correspond à la somme des durées d’effort intense au cours d’une séance. La méta-analyse de Wen et al. (2019) recommande un minimum de 15 minutes de temps de travail cumulé, et Rosenbalt et al. (2021) suggèrent que ce temps peut être étendu jusqu’à 25 minutes pour des gains optimaux, mais selon le niveau de l’athlète.
Personnellement, il me semble aussi cohérent d’accepter moins de temps de travail (p. ex., 12 minutes) chez les débutants et les personnes les moins habituées à ce type d’entraînement.
Et la récupération ?
La récupération peut être active ou passive, tant qu’elle permet de maintenir l’intensité cible lors des intervalles suivants. Selon Rosenbalt et al. (2021), la durée de récupération devrait être égale ou légèrement supérieure à celle des intervalles (par exemple, 3 minutes d’effort pour 3 à 4 minutes de récupération). Schoenmakers et Reed (2019) suggèrent cependant qu’il faut éviter des récupérations trop courtes, qui empêcheraient d’atteindre les intensités cibles.
La littérature est peu tranchée sur le sujet, et aucune étude qui souligne que des récupérations courtes sont inefficaces. L’essentiel est que ces récupérations permettent d’atteindre l’intensité voulue, le temps de travail cumulé voulu.
Combien de semaine, et combien de fois par semaine dois-je souffrir ?
Selon la méta-analyse de Wen et al. (2019), un programme de travail fractionné devrait durer entre 4 et 12 semaines. Les plus grands progrès sont généralement observés entre 10 et 12 semaines. Les gains auraient tendance à diminuer au-delà de cette durée.
De plus, la méta-analyse de Rosenbalt et al. (2021) recommande 2 à 3 séances de fractionné par semaine. Une fois les objectifs atteints, il semble pertinent de maintenir au moins une séance hebdomadaire pour conserver les adaptations physiologiques, bien qu’aucune donnée statistique précise ne soit disponible pour confirmer cette « pratique de terrain ».
Quelques conseils pratiques, sans littérature
Quand travailler le VO2 max ?
De manière générale, je recommande de cibler le développement du VO2 max pendant l’hiver ou en période de préparation générale, à distance des compétitions. Cela me semble pertinent lorsque vous avez un accès limité à la montagne, par exemple en raison de la météo ou du terrain, et donc que patienter en développant une qualité cible est pertinent.
Non, VO2 max ne se travaille pas que sur une piste
L’essentiel du travail de VO2 max est le temps passé à haute intensité, peu importe le mode d’exercice. Que vous soyez à pied (sur route, en côte, en trail ou sur piste), à vélo, à ski ou en rameur, les adaptations cardiovasculaires centrales (comme l’augmentation du débit cardiaque) seront similaires. Cependant, pour des adaptations périphériques spécifiques (musculaires), courir reste un choix plus adapté aux traileurs et traileuses, mais pas obligatoire.
Faut-il jeter le 30-30 à la poubelle ?
Non, pas nécessairement. Bien que d’autres approches semblent plus efficaces pour développer le VO2 max, le "30-30" peut conserver certains intérêts. Tout d’abord, il permet tout de même de stimuler des adaptations cardiovasculaires, même si elles pourraient être moindres par rapport à des intervalles plus longs.
De plus, le 30-30 offre l’avantage de travailler à des vitesses plus élevées, ce qui peut être bénéfique sur le plan neuromusculaire. Par exemple, les contractions à haute vitesse induites par ces efforts rappellent certains aspects de la pliométrie, renforçant ainsi l’efficacité mécanique. Je suis partisan des variations des allures pendant le travail à haute intensité, avec tout de même une majorité des fractions pendant le cycle de travail comprises entre 2 et 4 minutes, soit l’optimal d’après la littérature.
Conclusion
Le VO2 max est une composante clé de la performance en trail et en ultra-trail. Cet indicateur, bien qu’influencé par des facteurs génétiques, peut être significativement amélioré grâce à un entraînement structuré et réfléchi. Si le développement du VO2 max peut être exigeant, il reste accessible à tous, à condition de respecter les modalités optimales identifiées par la littérature et de personnaliser l’approche selon vos capacités et préférences. Et si le 30-30 est ancré dans l’esprit comme la seule méthode (rébarbative) pour améliorer ce paramètre, la littérature semble souligner que de nombreuses modalités différentes peuvent aboutir à des résultats plus importants.
À retenir
1. VO2 max est entraînable : Des séances spécifiques, basées sur des intervalles à haute intensité, permettent d’obtenir des gains significatifs, même pour les athlètes confirmés.
2. Modalités optimales : Privilégiez des intervalles de 2 à 4 minutes à une intensité de 85-100 % de la FCmax, avec un temps de travail cumulé de 15 à 20 minutes par séance. Adaptez la durée et l’intensité des récupérations pour maintenir la qualité de l’effort.
3. Choisissez un mode d’entraînement que vous appréciez : Que ce soit à pied, à vélo ou en ski, ce qui compte, c’est le temps passé à haute intensité. Développer son VO2 max est exigeant, alors autant choisir une méthode motivante.
Références bibliographiques
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