L’attaque talon en trail : pas pire que l'attaque médio !
L'attaque talon n'engendre pas plus de blessures, et fait gagner la Hardrock 100. En tout cas, une de ces affirmations a largement été démontrée par la science, contrairement aux "on-dit".
La technique de course à pied, en trail ou sur route, suscite de nombreux débats, notamment autour de l’attaque talon, souvent diabolisée. En effet, il est souvent pensé qu’attaquer par l'arrière du pied (la fameuse "attaque talon") serait un facteur de blessures et d’inefficacité biomécanique. Mais que dit réellement la littérature scientifique sur ce sujet ?
Dans cet article, je vous propose de définir précisément la foulée, puis de zoomer sur l’attaque talon, en analysant les données scientifiques actuelles sur son lien avec la performance et les blessures. Nous verrons enfin quelles recommandations concrètes il est possible de formuler aux traileurs et traileuses. Car au fond, si vous attaquez talon, devez-vous vraiment changer votre foulée ?
La foulée en course à pied : définitions et spécificités du trail
La foulée en course à pied est un cycle qui se divise en plusieurs phases : la phase d'appui, avec une phase de freinage et une phase de propulsion, et la phase de vol. Les chercheurs ont tendance à caractériser la foulée à travers plusieurs paramètres comme la longueur de foulée, la cadence et le temps de contact au sol.
À travers le temps, les travaux ont montré que certains pattern de courses engendraient des changements dans ces mêmes caractéristiques. Depuis ces premiers constats, les distinctions dans les patterns de course ont évolué, passant d'une dichotomisation basique ("attaque avant-pied" vs. "attaque arrière-pied") à une cartographie plus poussée des foulées à travers 5 options possibles, par l'excellent travail de Van Oeveren et al., en 2021. Cette dernière fait d'ailleurs aujourd'hui consensus chez les experts. L'objectif de cet article n'étant pas de comprendre spécifiquement les différences entre ces 5 patterns, je vous propose de simplement garder en tête pour l'instant qu'au moins 2 d'entre eux démontrent une attaque plutôt talon lors de l'impact au sol (je reviendrai sur ces foulées dans un article dédié).
Une dernière chose ... gardez en tête qu'en trail, la foulée est soumise à des contraintes spécifiques. Les variations de terrain (montées, descentes, surfaces instables) imposent des adaptations constantes. Une foulée efficace en montée peut être totalement inadaptée en descente technique. Enfin, la foulée est déterminée par de nombreux facteurs, et est en grande partie innée à cause, par exemple, de notre taille, de la longueur de nos membres, de nos forces et nos faiblesses musculaires, etc.
L’attaque talon : mauvaise pour la santé ?
Définition et prévalence
L’attaque talon, ou « rearfoot strike » (RFS), désigne un pattern biomécanique où le contact initial au sol s’effectue avec le talon. À l’opposé, l’attaque médio-pied (midfoot strike, MFS) et l’attaque avant-pied (forefoot strike, FFS) impliquent un contact plus avancé sur le pied.
Contrairement aux idées reçues, l’attaque talon est en réalité largement dominante, y compris chez les coureurs et traileurs élites. La méta-analyse de Bovalino et Kingsley (2021) montre que 79 % des coureurs de longue distance (p. ex. marathon, trail long et ultra-trail) adoptent une attaque talon au départ d’une course, et que ce chiffre monte à 86 % en fin d’épreuve, probablement en raison de la fatigue musculaire des fléchisseurs plantaires.

En trail et en ultra-trail, la dynamique est similaire, avec une nette prédominance de l’attaque talon. Par exemple, Kasmer et al. (2014) ont observé les foulées de centaines d’athlètes sur la Western States Endurance Run (161 km), révélant qu’environ 80 % des coureurs attaquaient talon au kilomètre 16, un chiffre grimpant à 89 % au km 90 avant de légèrement redescendre à 84 % à l’arrivée. Une autre étude, menée par Giandolini et al. (2013) lors de l’UTMB (104 km, 5800 m D+), a également mis en évidence une faible évolution de la foulée au cours de la course, avec 88 % des participants attaquant talon au départ et 91 % à l’arrivée. Ces résultats confirment que l’attaque talon reste largement dominante même sur des efforts prolongés sur des terrains variés.
Mais alors, l'attaque talon étant si dramatique, la grande majorité des coureurs devrait être blessée ?
Attaque talon et risque de blessures
L’un des arguments contre l’attaque talon repose sur l’idée qu’elle favoriserait les blessures. Pourtant, la littérature actuelle nuance ce postulat.
Sur ce sujet, la méta-analyse de Lopes et al. (2023) regroupe 82 études, soit 5465 coureurs blessés vs. non-blessés, à travers des études transversales et prospectives, ce qui est une grande force de ce papier. Leurs analyses n’ont trouvé aucune différence significative entre coureurs blessés et non blessés en termes de variables biomécaniques, avec par exemple une même prévalence de l'attaque talon dans les deux groupes.

De leur côté, Adamson et al. (2024) ont réalisé une revue de littérature systématique. Leur lecture de littérature conclue que patterns de course, comme celles impliquant une attaque talon, ne permettent pas de prédire les blessures. Selon ces auteurs, il n’existe pas de « profil de foulée à risque », ce qui remet en question l'idée qu’un certain type d'attaque du pied soit intrinsèquement plus dangereux.
Enfin, Burke et al. (2021) ont compilé les résultats de 13 études sur le sujet et ont conclu que la relation entre le pattern de course et le risque de blessures reste floue. Leurs travaux mettent en lumière des résultats contradictoires selon les échantillons étudiés, mais aucune relation robuste entre l'attaque talon et le risque de blessure.
La revue de Van Oeveren et al., concluait déjà cela en 2023, en soulignant que chaque type de foulée n'est pas plus à risque qu'une autre, mais qu'elles redistribuent chacune simplement la localisation anatomique des contraintes mécaniques. Par exemple, l’attaque talon sollicite davantage les genoux, les hanches et le bas du dos, tandis que l’attaque avant-pied met plus de charge sur les chevilles, les mollets et le tendon d’Achille. Néanmoins, aucune d'entre elles n'augmenterait ces contraintes, ou ne serait plus à risque qu'une autre.
Attaque talon et performance
La littérature sur les relations entre foulée et performance est moins nourrie. L’attaque talon est-elle un frein à la performance ? Là aussi les résultats sont, au pire, mitigés.
Par exemple, la méta-analyse de Anderson et al. (2020) a montré qu’il n’existe pas de différence significative dans le coût du déplacement entre les coureurs attaquant talon, et ceux qui adoptent une attaque avant-pied ou médio-pied. Néanmoins, ils soulignent que forcer un coureur attaquant naturellement arrière pied à attaquer médio-pied ou avant pied entraîne une augmentation de la consommation d’oxygène et une diminution de la performance.
Xu et al., en 2021 concluait de manière analogue dans leur méta-analyse. La croyance selon laquelle l’attaque avant-pied serait plus économique vient du fait qu’elle utilise davantage l’énergie élastique des tendons, ce qui pourrait théoriquement améliorer l’efficacité. Cependant, cette énergie est principalement utilisée pour propulser le coureur vers le haut, rendant la foulée plus bondissante. À l’inverse, l’attaque talon mobilise moins l’énergie élastique des tendons, mais en a également moins besoin, car elle génère une foulée plus rasante avec une oscillation verticale réduite. Ainsi, les différences de mécanique de course ne se traduisent pas nécessairement par une meilleure économie énergétique pour l’un ou l’autre des patterns de foulée.
Mais alors, quand arrêter d’attaquer talon ?
La littérature scientifique n’identifie pas de bénéfices très clairs à l’arrêt de l’attaque talon. Le changement de foulée, notamment d’une attaque talon vers une attaque médio-pied, est difficile à mettre en place volontairement. Certaines interventions cherchant à modifier la foulée ont montré que les coureurs reviennent assez facilement à leur pattern initial, plus naturel, au fil du temps.
L’un des moyens les plus efficaces pour réellement modifier une foulée reste l’utilisation du drop de la chaussure. En effet, un drop bas favorise une attaque avant-pied tandis qu’un drop élevé encourage une attaque talon. Enfin, les études montrent que l’élément le plus utile lors d’un changement de foulée n’est pas tant le pattern d’attaque que l’augmentation de la fréquence des pas. Pour plus d'information sur ce sujet, je vous renvoie à cet article de Relance Mag !
Conclusion - Attaquez talon comme bon vous semble
Loin des idées reçues, propagées par différents acteurs plus ou moins biaisés par des intérêts individuels, l’attaque talon n’est ni un facteur de blessures avéré, ni un frein notabler à la performance en course à pied ou en trail. Les études montrent qu’elle est largement répandue, même chez les élites, et que chaque pattern de foulée redistribue simplement la localisation anatomique des contraintes biomécaniques, le tout sans augmenter l’occurrence des blessures. Forcer une transition vers une autre attaque de pied ne semble pas apporter de bénéfices évidents et pourrait même nuire à l’économie de course.
Si vous attaquez talon et que vous n’êtes pas blessé, il n’y a probablement aucune raison de modifier votre foulée. Une approche plus pertinente consisterait plutôt à optimiser d’autres paramètres, comme la fréquence des pas ou le choix du drop de chaussure, qui influencent naturellement votre façon de courir, mais seulement en cas de blessures répétées et/ou difficiles à soigner.
À retenir
En course à pied, en trail et en ultra, plus de 80 % des coureurs, amateurs ou élites, attaquent talon.
L’attaque talon ne cause pas plus de blessures que l’attaque avant ou médio-pied.
Les différents patterns de courses modifient la localisation anatomique des contraintes mécaniques.