La force maximale, le nouveau levier de la performance en trail
Souvent considérée comme inutile, la littérature récente souligne les larges bénéfices de la musculation lourde pour le trail et l'ultra. Faut-il passer sous une barre pour gagner l'UTMB ? (peut-être)
La force maximale en trail
La force maximale désigne la capacité d’un muscle ou d’un groupe musculaire à produire la plus grande force possible lors d’une contraction volontaire. En course à pied et en trail, on s’intéresse particulièrement à la force des membres inférieurs, notamment celle des extenseurs du genou (par exemple les quadriceps) ou des fléchisseurs plantaires (plus communément appelés « les mollets »).
Cette qualité fait partie des trois grandes dimensions de la fonction musculaire, aux côtés de :
la puissance maximale (force × vitesse)
de l’endurance de force (capacité à maintenir un effort sous-maximal dans le temps).
Contrairement aux idées reçues — souvent centrées sur l’endurance musculaire dans les disciplines de longue durée —, la force maximale, soit la capacité à soulever des charges lourdes lentement, joue un rôle essentiel dans les disciplines d’endurance aérobie comme le trail ou l’ultra-trail.
Des effets directs sur la performance
De nombreuses études montrent une corrélation positive entre la force maximale et la performance en endurance. Cette relation est bien documentée dans des disciplines telles que le cyclisme, le ski de fond ou la course à pied sur route (Hoff et al., 2002 ; Beattie et al., 2014 ; Ambrosini et al., 2021), et s'étend aux sports d’endurance de longue durée, notamment grâce à une amélioration de l’efficacité neuromusculaire et du coût énergétique du déplacement.
Dans le contexte spécifique du trail et de l’ultra-trail, les données les plus probantes proviennent d'études de terrain. L’étude de Balducci et al. (2017), par exemple, met en évidence une corrélation négative significative entre la force maximale des extenseurs du genou et le temps de course sur un ultra-trail de 75 km avec 3900 m de dénivelé positif. Autrement dit, les athlètes les plus forts terminaient plus rapidement.
Plus récemment, Sabater-Pastor et al., (2022) ont réalisé une étude brillante sur l’UTMB et les différentes distances que cet événement propose. Ils ont montré que la force maximale était significativement corrélée à la performance sur les courses de trail de courtes (MCC et OCC) et moyennes (CCC) distances, au même titre que la VO2 max (dont je vous parlais ici), et le pourcentage de masse grasse.
En résumé, la force maximale des membres inférieurs constitue un prédicteur direct et indépendant de la performance en trail, et ce dès les distances moyennes. Elle mérite donc une place à part entière dans la planification de l’entraînement, au même titre que les qualités cardiovasculaires.
Plus de force = plus de performance
Les corrélations établies entre force maximale et performance en endurance ont naturellement conduit à une question centrale : renforcer la force maximale permet-il réellement d’améliorer la performance ? Pour y répondre, plusieurs équipes ont mené des études interventionnelles, cherchant à tester l’effet de programmes de renforcement musculaire sur des athlètes d’endurance.
La méta-analyse d’Eihara et al. (2022)
Dans cette optique, Eihara et al. ont publié en 2022 une méta-analyse comparant les effets de deux modalités d’entraînement de la force – force maximale et pliométrie – sur deux variables clés de la performance en course de fond :
L’économie de course, c’est-à-dire le coût énergétique pour maintenir une vitesse donnée.
La performance chronométrée, typiquement mesurée lors d’épreuves en contre-la-montre.
L’analyse regroupe 22 études répondant à des critères méthodologiques stricts. Les résultats montrent que l’entraînement en force lourde induit des améliorations significatives de l’économie de course, avec une taille d’effet modeste mais fiable. À l’inverse, l’entraînement pliométrique seul ne montre qu’un effet trivial et non significatif.
Les données relatives à la performance chronométrée confirment cette tendance : les protocoles centrés sur le développement de la force maximale réduisent significativement le temps de course (g = -0,24), tandis que les programmes basés uniquement sur la pliométrie affichent des effets plus modestes (g = -0,17).
Des résultats prometteurs, mais encore limités
Ces premiers résultats sont encourageants, mais doivent être interprétés avec prudence. Les effets observés sont statistiquement significatifs, mais restent de faible ampleur. Par ailleurs, les échantillons étudiés sont hétérogènes, tant sur le plan du niveau des participants que de la durée des interventions. En somme, les preuves sont là, mais restent encore à consolider.
C’est précisément ce que permet une seconde méta-analyse, plus tranchée.
La méta-analyse de Llanos-Lagos et al. (2024)
Dans une publication récente, Llanos-Lagos et al. (2024) ont conduit une méta-analyse ambitieuse visant à comparer les effets de différentes modalités d’entraînement en musculation sur l’économie de course chez des athlètes d’endurance, qu’ils soient amateurs ou élites. Cette synthèse repose sur 31 études et distingue cinq grands types de protocoles : la force maximale, la force sous-maximale (ou endurance de force), l’isométrie, la pliométrie, et les approches combinées, le plus souvent force + pliométrie.
Les résultats confirment de manière nette l’intérêt du développement de la force maximale. L’entraînement avec des charges lourdes améliore significativement le coût énergétique du déplacement, avec une taille d’effet moyenne et significative. Cet effet est présent à toutes les vitesses de course, et d’autant plus marqué chez les athlètes à VO2max élevé, courant à des vitesses supérieures à 12 km/h.
Les exercices pliométriques, quant à eux, montrent également une amélioration significative de l’économie de course, mais à des vitesses plus modérées (≤ 12 km/h), et avec une taille d’effet légèrement inférieure. En revanche, les protocoles de force sous-maximale (40–79 % du 1RM) et les entraînements isométriques n’induisent pas d’amélioration significative.
Ce que je trouve particulièrement intéressant dans cette méta-analyse, c’est l’efficacité supérieure des méthodes combinées. L’association de la force maximale et de la pliométrie produit des effets significatifs encore plus marqués sur le coût du déplacement que ces deux approches utilisées de manière isolée. Cela suggère une synergie entre les deux approches : la force lourde développe la capacité à produire un haut niveau de tension musculaire, tandis que la pliométrie renforce la réactivité neuromusculaire et l’économie du cycle étirement-raccourcissement. Ensemble, elles optimisent un spectre large de qualités utiles à la course.
Ces conclusions renforcent l’idée que l’entraînement en force, et plus spécifiquement la combinaison force maximale + puissance pliométrique, constitue un levier central pour améliorer l’économie de course, et donc, la performance en course à pied, en trail comme en ultra-trail. Mais très récemment, une étude est venue prolonger ces résultats en explorant un autre déterminant fondamental de la performance en endurance : la résistance à la fatigue.
L’étude de Zanini et al., 2025
La résistance à la fatigue est un paramètre fondamental en trail, et plus encore en ultra-trail, où la durée de l’effort impose un stress physiologique prolongé. Elle désigne la capacité à maintenir stables au cours du temps des variables clés comme le VO₂max, le coût énergétique du déplacement, ou encore les seuils métaboliques, malgré l’accumulation progressive de la fatigue. Elle est actuellement à la mode, et de plus en plus appelée « durabilité », ce qui noie les discussions avec l’introduction d’un nouveau terme pour désigner un construit déjà connu et étudié, mais c’est un autre débat.
Dans cette perspective, l’étude de Zanini et al. (2025) apporte une contribution précieuse. Les auteurs ont évalué les effets d’un programme de dix semaines combinant force maximale et pliométrie sur la résistance à la fatigue, en se concentrant spécifiquement sur l’évolution du coût du déplacement et de la capacité à maintenir une vitesse élevée en fin d’effort. L’échantillon comprenait vingt-huit coureurs entraînés, répartis en deux groupes : un groupe contrôle poursuivant uniquement leur entraînement d’endurance (groupe E), et un groupe combinant endurance et deux séances hebdomadaires de musculation (groupe E+M).
Les résultats montrent quele groupe E+M a significativement amélioré sa capacité à stabiliser le coût énergétique au cours d’un effort prolongé de 90 minutes à environ 80 % du VO₂max. Tandis que le groupe contrôle voyait son coût du déplacement augmenter au fil du temps, celui du groupe E+M restait quasiment stable (+0,6 % contre –2,1 % à 90 minutes, p = 0,04). Cette meilleure résistance à la fatigue s’est également traduite par une amélioration de la performance lors d’un test de temps jusqu’à épuisement (TTE) à 95 % VO₂max réalisé juste après l’effort prolongé : +35 % dans le groupe E+M, contre –8 % dans le groupe E.
Les auteurs attribuent ces bénéfices à plusieurs mécanismes : une augmentation de la force et de la puissance musculaire sans prise de masse significative, une réduction de la dérive de la perception de l’effort et des concentrations de lactate en fin d’exercice, ainsi qu’un recrutement retardé des fibres de type II, accompagné d’une moindre activation neuromusculaire sous fatigue. Ce dernier point pourrait notamment contribuer à préserver les réserves énergétiques dans les derniers kilomètres.
Appliqué à l’ultra-trail, ce type d’adaptation permettrait de limiter l’effondrement mécanique et énergétique en fin de course — une problématique que connaissent bien celles et ceux qui ont déjà vu leurs performances s’effondrer dans les dernières heures d’un trail long ou d’un ultra-trail. L’étude de Zanini et al., mise en parallèle avec celle de Llanos-Lagos et al. (2024), me semble constituer un argument fort en faveur d’un entraînement en musculation combinant force maximale et pliométrie. C’est une stratégie prometteuse pour améliorer à la fois l’économie de course, la durabilité des qualités physiologiques et, in fine, la résistance à la fatigue sur le terrain.
Exemple d’une séance de musculation combinée (force maximale + pliométrie)
À mon sens, ce type de séance doit être encadré par un coach diplômé — j’insiste sur le mot diplômé — capable de vérifier et corriger la technique d’exécution des mouvements. C’est une condition nécessaire à la fois pour garantir l'efficacité de l’entraînement et surtout éviter les blessures, en particulier lorsqu'on manipule des charges lourdes ou que l’on enchaîne des exercices pliométriques.
Cela étant dit, je propose ici un exemple de séance combinée, inspiré des protocoles validés dans la littérature scientifique, notamment ceux utilisés dans les travaux de Llanos-Lagos et al. (2024) et Zanini et al. (2025). Les exercices sont choisis pour reproduire des patterns de mouvement proches de ceux rencontrés en trail, afin de maximiser le transfert des adaptations neuromusculaires vers la performance spécifique.
Cette séance doit être réalisée après un échauffement complet, intégrant plusieurs séries d’activation légère des groupes musculaires ciblés. Si vous testez ce type de séance, je vous recommande de demander un encadrement par le personnel présent en salle, au moins lors des premières réalisations.
Conclusion
Longtemps négligée au profit d’approches centrées exclusivement sur les qualités aérobies, la force maximale apparait aujourd’hui au cœur des discussions autour de l’optimisation de la performance en trail et ultra-trail. Les données scientifiques récentes sont claires : non seulement la force maximale est corrélée à la performance, mais son développement par l’entraînement permet aussi d’améliorer le coût énergétique, la vitesse de course ; ainsi que de limiter des dégradations liées à la fatigue, et de mieux maintenir les performances en fin d’effort (c-à-d., meilleure résistance à la fatigue).
Les méta-analyses et les études interventionnelles récentes contemporaines confirment l’intérêt d’un entraînement en force maximale, et d’un entraînement combinant force maximale et pliométrie. Pour autant, la mise en œuvre de ces séances demande un cadre rigoureux, un encadrement compétent, et une intégration raisonnée au sein de la planification. Il ne s’agit pas de faire de la musculation « pour faire de la musculation », mais bien de viser un transfert vers la pratique spécifique du trail, avec des gains en efficacité, en économie et en robustesse sur le long terme.
À retenir
La force maximale est un prédicteur de la performance en trail, qui mérite une place à part entière dans la planification.
L’entraînement combiné (force lourde + pliométrie) est efficace pour améliorer le coût du déplacement et les vitesses de course dans les sports d’endurance de longue distance.
L’entraînement combiné (force lourde + pliométrie) est efficace pour améliorer la résistance à la fatigue (« durabilité ») dans les sports d’endurance de longue distance.
Références bibliographiques
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Balducci, P., Clémençon, M., Trama, R., Blache, Y., & Hautier, C. (2017). Performance factors in a mountain ultramarathon. International journal of sports medicine, 38(11), 819-826.
Beattie, K., Kenny, I., Lyons, M., & Carson, B. (2014). The Effect of Strength Training on Performance in Endurance Athletes. Sports Medicine, 44, 845-865.
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Zanini, M., Folland, J. P., Wu, H., & Blagrove, R. C. (2025). Strength Training Improves Running Economy Durability and Fatigued High-Intensity Performance in Well-Trained Male Runners: A Randomized Control Trial. Medicine & Science in Sports & Exercise, 10-1249.