La "bière de récup" : du bien à la tête mais pas aux jambes !
Après l’effort, le réconfort ; et dans le sport la « bière de récup’ » trouve vite sa place. Pourtant, ses effets démontrés sur la récupération et la santé ne justifient pas cette tradition.
La « bière de récupération », savourée après avoir passé une arche d’arrivée ou après un entraînement, fait partie pour beaucoup du rituel post-effort. Dans l’imaginaire, la bière n’est pas seulement une manière de célébrer ; elle est aussi perçue comme un élément de récupération, probablement à cause de sa teneur en eau (environ 90–95 %), voire en glucides. Néanmoins, la bière contient aussi un ingrédient bien connu pour ses effets délétères sur l’organisme, surtout en contexte sportif : l’alcool. Diurétique et pouvant perturber les mécanismes inflammatoire (entre autres), il est donc aussi crédible de voir l’alcool comme un ennemi de la récupération. Mais alors, à quel point cette bière d’après-effort est-elle vraiment une alliée pour les traileurs et traileuses ?
Les études révèlent un tableau contrasté. Certaines mettent en avant des effets potentiellement bénéfiques, comme les propriétés antioxydantes des polyphénols présents dans la bière ou l’efficacité des versions faiblement alcoolisées pour la réhydratation. D’autres, à l’inverse, soulignent des impacts négatifs, notamment sur la synthèse des protéines musculaires, la performance neuromusculaire ou encore l’inflammation post-exercice. Sans oublier les études sur la santé, qui elles aussi ont leur mot à dire dans cette histoire.
Bière et récupération : Ce que dit la science
Les potentielles vertus de la bière
De rares études suggèrent que la bière pourrait en effet aider la récupération. L’une des vertus souvent mises en avant est son potentiel pour favoriser la réhydratation, surtout lorsqu’il s’agit de bières faiblement alcoolisées (< 4 %). En effet, ces dernières permettraient de compenser les pertes hydriques sans entraîner une production d’urine excessive, contrairement à celles plus fortes. Une étude menée par Shirreffs et Maughan (1997) a montré qu’une bière avec une teneur en alcool de 2 % favorisait une meilleure réhydratation qu’une bière classique à 4 %, surtout lorsqu’elle était enrichie en sodium. Cependant, cet enrichissement en sodium détériorait le goût, et aucune bière du commerce ne présente ce type d’enrichissement.
Outre la réhydratation, la bière contient des polyphénols, des composés antioxydants. Ces derniers pourraient jouer un rôle dans la réduction du stress oxydatif induit par l’effort, facilitant ainsi la récupération musculaire et limitant l’inflammation. Par exemple, un essai mené par Scherr et al. (2012) a révélé que la consommation de bière sans alcool riche en polyphénols réduisait l’incidence des infections des voies respiratoires supérieures chez les athlètes d’endurance. Ce résultat, isolé dans la littérature, est à confirmer, mais a le mérite d’exister.
Une méta-analyse réalisée par Wynn et Wilson (2021) a complété ces observations en explorant les effets spécifiques de la bière sur l’exercice et la récupération. Les auteurs ont noté que les bières faiblement alcoolisées, en particulier lorsqu’elles étaient enrichies en électrolytes, pouvaient améliorer le bilan hydrique post-exercice tout en limitant les effets déshydratants de l’alcool. Ils ont, eux aussi, souligné les avantages potentiels des polyphénols pour la récupération inflammatoire, bien que les bénéfices restent (très) modestes et fortement dépendants des doses consommées.
Ainsi, dans des conditions précises – faible teneur en alcool, apport en sodium et richesse en polyphénols –, la bière pourrait effectivement avoir des vertus intéressantes pour la récupération sportive. Mais ses bénéfices restent conditionnés à une consommation modérée et bien encadrée.
La bière est principalement délétère à la récupération
Malgré ces avantages potentiels, les effets de la bière sur la récupération semblent majoritairement négatifs, en particulier avec les bières « classiques » contenant des niveaux plus élevés d’alcool (> 4 %). L’un de ses premiers inconvénients est son effet diurétique, qui peut exacerber la déshydratation post-exercice. Shirreffs et Maughan (1997) ont également observé que la consommation de bières classiques entraîne une augmentation significative du volume urinaire comparée à des bières sans alcool ou faiblement alcoolisées. Cette augmentation limite la capacité de l’organisme à restaurer efficacement son bilan hydrique.
De plus, l’alcool interfère directement avec la synthèse des protéines musculaires, un processus essentiel pour la réparation des fibres musculaires endommagées par l’exercice. Parr et al. (2014) ont montré qu’une dose de 1,5 g/kg d’alcool après un exercice intense réduisait de 37 % la synthèse des protéines musculaires, même lorsque des apports nutritionnels optimaux étaient assurés. Cela signifie que, même avec un apport suffisant en protéines, l’alcool freine une partie des mécanismes de la récupération, au niveau musculaire.
L’alcool peut également altérer les réponses inflammatoires normales de l’organisme. Par exemple, une étude de Levitt et al. (2016) a rapporté une réduction de la production de cytokines pro-inflammatoires, ce qui peut perturber la réparation tissulaire après un effort intense, justement permise par l’inflammation (il existe le même problème avec le froid et la cryothérapie, mais c’est une autre histoire). Bien que cela puisse réduire les douleurs à court terme, la bière semble plutôt compromettre la régénération musculaire, donc l’adaptation à l’entraînement.
Enfin, des études ont également mis en évidence des impacts négatifs sur la performance neuromusculaire. Rodrigues et al. (2019) ont montré qu’une consommation excessive d’alcool combinée à une privation de sommeil partielle diminuait significativement l’activation musculaire des quadriceps (-21 %) ce qui pourrait affecter les performances lors d’entraînements ou compétitions ultérieures.
La méta-analyse de Wynn et Wilson (2021) corrobore ces observations en indiquant que l’alcool, même à des doses modérées, peut compromettre les mécanismes de récupération musculaire et de réhydratation, surtout lorsqu’elle est consommée immédiatement après l’effort. Les auteurs soulignent que l’effet est exacerbé chez les sportifs en déficit hydrique, amplifiant la déshydratation et limitant la régénération musculaire.
Ainsi, les dangers de la bière pour la récupération musculaire et la performance sont surtout liés à sa teneur en alcool. Une consommation non modérée, ou mal planifiée, peut réduire la qualité de la récupération.
Un peu d’eau dans notre vin
Les effets de la bière dans la récupération sportive dépendent donc majoritairement du dosage et du moment de sa consommation. Pour limiter ses effets négatifs dégradant la récupération, les études convergent sur deux points clés : la modération et la teneur en alcool. À faible teneur en alcool (< 4 %), et en faible quantité, les bières peuvent contribuer à la réhydratation. Cependant, dès que la teneur en alcool augmente, les effets diurétiques deviennent trop prononcés et affectent la récupération.
De plus, le moment joue un rôle important. Une consommation immédiate après l’effort, surtout en présence de déshydratation, amplifie les effets négatifs de l’alcool, comme l’ont souligné Wynn et Wilson (2021). En revanche, une consommation modérée, bien espacée de l’effort, limite ses impacts.
La récupération, ok. Mais la santé ?
Au-delà des questionnements sur la récupération, il me semblait important de faire un rappel santé. En 2023, l’OMS a déclaré, et publié dans The Lancet, « Aucune consommation d’alcool, même modérée, n’est sans risque pour la santé ». Aujourd’hui, malgré la force des traditions, les preuves scientifiques sont unanimes concernant son rôle dans l’apparition de maladies chroniques, notamment certains cancers. Dans l’Union européenne, on estime par exemple à 23 300 les cas de cancer en 2017 directement attribuables la consommation d’alcool, même à des niveaux modérés (1–2 verres par jour).
De plus, les bénéfices cardiovasculaires parfois associés à une consommation modérée restent controversés. Bien que certains travaux suggèrent une réduction du risque de maladies cardiovasculaires chez les buveurs modérés, ces effets ne compensent pas les risques accrus d’autre pathologies chroniques. Les recommandations internationales, telles que celles émises par le Canada en 2023, conseillent désormais de limiter la consommation à deux verres par semaine, ou moins, pour minimiser les risques.
Pour les sportifs, la pratique d’une activité physique régulière ne compense pas les effets délétères de l’alcool sur la santé globale. Par exemple, l’étude de Fu et al. (2024) examinait l’interaction entre activité physique et consommation d’alcool. Les résultats montraient que bien qu’une pratique sportive régulière réduise certains risques de mortalité associés à l’alcool, l’effet protecteur disparaît à des niveaux élevés de consommation. En d’autres termes, courir ne protège pas des risques liés à une consommation chronique d’alcool, même modérée.
Conclusion : Avec ou sans mousse ?
Alors, la bière est-elle une alliée de la récupération ? À faible teneur en alcool et en faible quantité, les bières peuvent s’intégrer dans une stratégie de récupération, grâce à leur capacité à favoriser la réhydratation et à limiter l’inflammation via les polyphénols. Toutefois, ces effets positifs disparaissent rapidement dès que la teneur en alcool et les quantités augmentent.
De plus, au-delà de la récupération immédiate, les risques pour la santé à long terme liés à l’alcool doivent être pris en compte, même pour les sportifs. La pratique sportive, bien qu’elle offre des effets protecteurs, ne compense pas les impacts délétères d’une consommation excessive ou régulière d’alcool.
Pour les traileurs et traileuses, la bière d’après-effort peut rester un plaisir occasionnel, mais elle ne doit pas être perçue comme une solution miracle et régulière pour la récupération. Privilégiez des versions sans alcool ou faiblement alcoolisées, et n’oubliez pas que les bases d’une bonne récupération résident dans une hydratation adaptée, un apport optimal en glucides et protéines, et surtout du repos.
À retenir
À faible teneur en alcool (< 4 %) et en quantité limitée, la bière peut contribuer à la réhydratation et ses polyphénols peuvent être intéressants. Ces avantages disparaissent avec des bières plus fortes ou une consommation plus importante.
Même à des doses modérées, l’alcool nuit à la synthèse protéiques et à la régénération tissulaire. Ses effets diurétiques aggravent aussi la déshydratation.
La consommation d’alcool, même modérée, augmente le risque de maladies chroniques. La pratique sportive ne compense pas ces effets délétères.
Références bibliographiques
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Levitt, D., Luk, H., Duplanty, A., McFarlin, B., Hill, D., & Vingren, J. (2017). Effect of alcohol after muscle-damaging resistance exercise on muscular performance recovery and inflammatory capacity in women. European Journal of Applied Physiology, 117, 1195-1206.
Parr, E., Camera, D., Areta, J., Burke, L., Phillips, S., Hawley, J., & Coffey, V. (2014). Alcohol Ingestion Impairs Maximal Post-Exercise Rates of Myofibrillar Protein Synthesis following a Single Bout of Concurrent Training. PLoS ONE, 9.
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Rodrigues, R., de Azevedo Franke, R., Teixeira, B. C., Macedo, R. C. O., Diefenthaeler, F., Baroni, B. M., & Vaz, M. A. (2019). Can the combination of acute alcohol intake and one night of sleep deprivation affect neuromuscular performance in healthy male adults? A cross-over randomized controlled trial. The Journal of Strength & Conditioning Research, 33(5), 1244-1251.
Scherr, J., Nieman, D. C., Schuster, T., Habermann, J., Rank, M., Braun, S., ... & Halle, M. (2012). Nonalcoholic beer reduces inflammation and incidence of respiratory tract illness. Medicine and Science in Sports and Exercise, 44(1), 18-26.
Shirreffs, S., & Maughan, R. (1997). Restoration of fluid balance after exercise-induced dehydration: effects of alcohol consumption.. Journal of applied physiology, 83 4, 1152-8.
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