Déracinés de nature, le Trail nous ancre
Le mode de vie que nous connaissons aujourd’hui artificialise le rapport que chacun d'entre nous tisse avec son environnement immédiat. Nous sommes tous, peu ou prou des "déracinés de nature".
Nous sommes de plus en plus indifférents aux lieux anonymisés et standardisés qui nous entourent. C'est la sanction de la vie en zone urbaine, qui nous offre un décor sans attrait particulier. Et si le besoin de courir des trails, était une réponse à ce manque de paysage ? Si toutes les anciennes générations, de l'homme des cavernes au paysan de l'avant-guerre de 39-45, devaient savoir travailler en relation avec la nature pour y vivre, nous nous trouvons, nous les hommes du 21ème siècle, dans un permanent “prêt à utiliser”, qui nous offre tout ce qu'il faut pour subsister… à condition d'en avoir les moyens financiers ! Cette urbanisation envahissante et la multiplication des “ustensiles”, nous a fait perdre peu à peu le contact avec les matières premières, le bois, la pierre, l'eau, et avec le paysage qui nous entoure.
Le paysage est le fruit, en évolution permanente, de l'action de l'homme sur la nature.
Ce que nous apercevons fugitivement en courant, le paysage, c'est une construction historique très complexe, de l'action de l'homme qui a façonné la nature : Des murets de pierres retenant la terre des terrasses s'étageant sur les pentes des collines, un sentier embroussaillé, voilà les signes de cultures anciennes ! Une vieille cabane de pierres sèches, une clairière dans la forêt, voilà des traces de pastoralisme ! Un canal oublié qui serpente au flanc de la montagne, captant l'eau des ruisseaux qui courent vers la vallée, voilà le vestige de l'irrigation du siècle dernier ! Toutes ces interventions humaines modèlent inexorablement le paysage que nous traversons... pour le meilleur ou pour le pire ! Même les plus hauts sommets du monde, portent aujourd'hui les stigmates de l'action de l'homme : cordages, détritus, anciens camps de base sont légions, et violent la virginité du “Char des Dieux” !
Le paysage, nous le ressentons en nous dans l'acte de la course.
Qu’il soit beau ou laid, émouvant ou agressif, nous “devenons” le paysage, lorsque nous le parcourons, les sens en alerte et le geste sûr. Si nous traversons une forêt en voiture, en écoutant la radio, nous l'admirerons peut-être, mais de l'extérieur, un peu comme sur l'écran de notre télévision. La même forêt au petit trot nous envoûtera de ses charmes, et nous la vivrons de l'intérieur, plongés dans ses sentes secrètes et odorantes.
La vue splendide d'un sommet gravi à la force du mollet, saura beaucoup plus nous envoûter que le même spectacle entraperçu à la sortie d'un téléphérique ! L'émotion ressentie sur les sentiers d'effort, et la fierté d'être là, composent en nous un espace sensible qui nous enchante l'âme. Le paysage, celui qui est en nos yeux, naît d'une alchimie subtile entre la nature environnante, et notre disponibilité sentimentale.
Le paysage que l'on perçoit en courant est une rencontre magique !
Une rencontre magique, unique, entre un coureur en chemin, à un moment précis, et un espace naturel chargé d'histoire(s) et de vie(s)... Autant de coureurs, autant de moments, autant de rencontres ! Au fil des heures, au fil des jours, aucun endroit n'est jamais semblable, et notre cœur est toujours différent ! En courant dans la nature, nous sommes entièrement présents au monde. Et nous tissons un lien physique sur notre itinéraire. C'est ce chemin, cette piste, cette voie sous nos pas, qui constituent l'essence même du trail... Aller ici et là, s'imprégner avec passion de l'ivresse des crêtes aériennes, ou de la sérénité des forêts profondes, en y promenant notre vécu. Aller quelque part, en revenir les yeux remplis de souvenirs “à nous, rien qu'à nous”.
Lorsque l'on court, on devient partie intégrante de l'environnement.
Le sentier où l'on court, le paysage que l'on voit, nous le ressentons en nous en fonction de notre état d'esprit, et de notre engagement physique du jour ! Le caractère particulier de l'émotion ressentie en courant dans un bel endroit, c'est d'abord la magie d'un moment d'intimité unique, entre nous-même et l'environnement : Ce n'est pas nous qui nous approprions le lieu, c'est lui qui s'empare de nous. Nous sommes immergés dans le paysage, nous ne faisons qu'un avec lui dans l'acte de courir : Voilà le pourquoi de cette émotion extraordinaire qui n'appartient qu'à chacun d'entre nous. Impossible de la partager avec celui qui ne court pas ! La flamme qui brille dans les yeux d'un coureur franchissant la ligne d'arrivée d'un ultra-trail, illumine son esprit, pas celui du spectateur qui n'a pas “fait le chemin”... Et si le coureur tombe dans les bras d'un autre concurrent, c'est parce qu'ensemble, ils viennent d'ailleurs ! C'est cette formidable expérience intérieure, cette rencontre avec un autre nous-même, qui nous pousse chaque jour, à retourner courir sur les sentiers, par-delà le plaisir du sport lui-même.
Courir dans un lieu, permet de se l'approprier et de s'y sentir bien !
Un lieu nouveau nous est à priori étranger. C'est en y vivant, en y créant nos propres “routines”, que nous commençons à nous y sentir bien. Mais la plus belle manière de s'approprier vraiment notre lieu de vie, c'est de le parcourir en tous sens en courant ! La course crée une relation intime avec un endroit, et de ce rapport fusionnel, naît un sentiment d'identification, d'imprégnation, grâce auquel on va progressivement s'y sentir bien.
Toute région, sans être extraordinaire, devient ainsi attachante pour nous. Quelle meilleure façon de découvrir son lieu de vacances, que de le sillonner en courant, jusqu'à dénicher des endroits merveilleux que la plupart des autochtones ne connaissent même pas ! Pouvoir reconnaître et nommer chaque sommet, chaque torrent, chaque hameau rencontré dans ses longues sorties, c'est se donner des repères et rendre le coin familier.
On se crée des racines profondes en courant !
Être chez soi, cela peut être “être né quelque part”, et pour certains revendiquer cette appartenance à un terroir. Plus intimement, se sentir “chez soi”, c'est assimiler pour soi-même les caractéristiques physiques d'un lieu, s'y mouvoir, et y créer ses propres repères. J'ai l'habitude de dire, quand je reviens chez moi, que je rentre dans mon “domaine courable”, c'est-à-dire que je passe la frontière invisible de l'espace où je peux me rendre en courant au départ de mon domicile. C'est un peu mon jardin, le territoire dont je connais chaque arbre et chaque pierre ! Quand on déménage ici ou là, guidé par des obligations professionnelles ou familiales, la course à pied est le moyen le plus efficace pour ne plus se sentir “étranger”.
Le trail n'est pas seulement une activité sportive ! C'est vraiment une attitude de vie qui facilite notre équilibre émotionnel au quotidien, et qui développe à l'infini notre capacité à nous sentir citoyens du monde.