Combien de jours faut-il pour récupérer d’un ultra ?
Après un ultra-trail, l'évolution des marqueurs musculaires, inflammatoires et psychologiques suivent des tendances proches. Leur retour à la normal demande du temps, souvent plus qu'espéré.
Un ultra-trail ne s’achève pas sur la ligne d’arrivée. L’effort prolongé, qui a pu durer plusieurs heures, voire plusieurs jours, a engendré une accumulation de fatigue, et des perturbations aux niveaux physiologiques et psychologiques. Ces dernières déclenchent un processus de récupération qui peut être long, et qui est régulièrement sous-estimée par les coureurs, même les plus professionnels d’entre eux. Par exemple, dans une interview récente, un athlète élite évoluant au plus haut niveau international disait reprendre l’entraînement 3 jours après l’UTMB).
Après un ultra-trail, de nombreux marqueurs caractérisent ce besoin aigu en récupération. Reprendre l'entraînement trop tôt, ou ignorer les signaux de fatigue persistante, nuira indéniablement à la progression, voire favorisera les blessures et dégradera la motivation à long terme. À l’inverse, une récupération bien conduite permet non seulement de mieux revenir à l’entraînement, mais aussi de consolider les adaptations physiologiques induites par l’ultra.
Dans cet article, je vous propose d’explorer ce qu’on appelle la cinétique de récupération post-ultra de différents marqueurs, ceux physiologiques d’une part (p.ex. musculaires), et ceux psychologiques (p.ex. fatigue perçue, motivation, sommeil) d’autre part.
Évolution de marqueurs physiologiques après un ultra-trail
À ma connaissance, les publications permettant de suivre précisément la cinétique de la récupération après un ultra-trail sont rares, peut-être à cause de la complexité des protocoles. À ce jour, seules 2 études ont documenté de façon rigoureuse l’évolution de marqueurs physiologiques pendant les jours qui suivent une épreuve d’ultra-trail comme l’UTMB. Parmi elles, celle menée par Guillaume Millet et ses collègues en 2011 reste une référence.
Le cas de l’UTMB 2009 : fatigue profonde et récupération en plusieurs phases
Dans cette étude, les auteurs ont suivi des personnes ayant participé à l’Ultra-Trail du Mont-Blanc 2009 (170 kilomètres et 10000 mètres de dénivelé). Ils ont évalué les fonctions neuromusculaires et certains marqueurs sanguins avant la course, juste après l’arrivée, puis à quatre reprises pendant les 16 jours suivants la fin de l’épreuve, soit 6 mesures.
Les résultats montrent une altération marquée de la force musculaire immédiatement après la course, notamment au niveau des quadriceps et des mollets (-35% à 40%). Cette dernière s’explique à la fois par une incapacité du système nerveux central à solliciter efficacement les muscles (fatigue centrale), et par des altérations de mécanismes périphériques de contraction musculaire (fatigue périphérique).
Pendant la récupération, ces deux fatigues n’évoluent pas selon la même temporalité. Si la fatigue centrale semble se résorber en grande partie dès le 2e jour, celle périphérique et ses altérations musculaires profondes persistent plus longtemps. Il faut en moyenne 9 jours pour que la force maximale retrouve des niveaux proches de la normale. Cependant, certains paramètres restent perturbés jusqu’à 16 jours après la course.
Parallèlement, les analyses sanguines révèlent des niveaux élevés de marqueurs inflammatoires (p.ex., créatine kinase, myoglobine, protéine C-réactive) dans les 48 premières heures, témoignant de dommages musculaires importants et d’une forte réponse inflammatoire. Ces marqueurs redescendent progressivement, mais pour la plupart, ce n’est qu’entre le 9e et le 16e jour qu’ils reviennent à des valeurs proches du niveau avant course
Cette étude met en évidence une récupération en plusieurs phases : rapide pour certaines fonctions neuromotrices, plus lente pour d’autres indicateurs musculaires profonds et inflammatoires. De plus, cette étude semble indiquer qu’il faut au moins 16 jours de récupération pour que tous les marqueurs physiologiques soient revenus à leur niveau d’avant course. Ces temporalités ont été confirmées en 2020 dans une étude brillante.
Récupération après l’UT4M en une étape vs. en plusieurs étapes
En 2020, Besson et ses collègues ont publié une étude qui comparaient deux formats de course sur un même parcours de 170 km avec 11 000 mètres de dénivelé (UT4M). Dans les analyses se trouvait une version "classique" en une seule étape, et une version de la course "multistage", c’est-à-dire répartie sur 4 jours consécutifs mais pour le même volume total.
Tout d’abord, les résultats confirment qu’un ultra-trail génère une fatigue neuromusculaire marquée, quel que soit le format. Toutefois, la nature et la durée de cette fatigue diffèrent selon qu’on enchaîne les kilomètres d’un seul bloc ou qu’on les répartisse sur plusieurs jours. Les coureurs ayant réalisé la course en une seule étape présentaient une fatigue centrale plus importante immédiatement après l’arrivée, en particulier au niveau des quadriceps, avec une baisse nette de la force développée volontairement (-23%). En revanche, cette fatigue centrale tend, là encore, à se résorber en grande partie dès le 2e jour de récupération.
À l’inverse, les coureurs du format en plusieurs étapes, ayant couru à des intensités moyennes plus élevées chaque jour, présentaient une fatigue périphérique plus marquée, notamment dans les muscles du mollet. De plus, celle-ci semblait nécessiter plus de temps pour se résorber. Dix jours après la fin de la course, plusieurs marqueurs restent encore altérés dans ce groupe, suggérant que les effets cumulatifs de 4 jours d’effort répété à haute intensité provoquent des dommages musculaires plus profonds et plus durables. À l’inverse, à + 10 jours, les athlètes ayant couru l’étape en une seule fois semblait avoir récupéré la plupart de leurs capacités, même si certains marqueurs restaient altérés.
En termes de récupération globale, l’étude montre que les paramètres de force musculaire maximale et de contractilité reviennent plus vite à la normale après une course en une seule étape qu’après un enchaînement de courses en plusieurs étapes mais pour un même volume total. Les bénéfices des pauses quotidiennes semblent en partie annulés par l’intensité relative plus élevée des efforts journaliers. Les muscles récupèrent plus vite après un effort continu mais modéré qu’après plusieurs charges successives plus intenses. Dans tous les cas, au moins 10 jours étaient nécessaires pour observer un retour des fonctions musculaires aux niveaux d’avant course. Si ces deux études nous éclairent sur la cinétique de récupération au niveau physiologique, elles n’informent pas sur celle d’un point de vue psychologique. Explorons donc maintenant cette question.
Ce que montrent les marqueurs psychologiques
Après un ultra-trail, des dimensions psychologiques comme la charge mentale, la fatigue émotionnelle et le sentiment de bien-être jouent un rôle déterminant dans la reprise. À ce jour, 3 études ont entrepris un suivi longitudinal de ces marqueurs après un ultra.
Un suivi du mental des athlètes sur 30 jours après un 24h
L’étude de Nicolas et al., en 2011 a recruté 14 coureurs masculins ayant terminé une course de 24 heures, avec des distances allant de 117 à 243 kilomètres. Les auteurs ont évalué leurs états de stress et de récupération à l’aide d’un questionnaire validé, distribué avant la course, puis à 9 reprises jusqu’à un mois (+30 jours) après l’arrivée. Ce questionnaire permet de distinguer les sources de stress et les ressources de récupération perçues.
Après l’arrivée, les analyses montrent que les scores de stress augmentent nettement, notamment dans les dimensions spécifiques à l’activité sportive comme l’épuisement émotionnel ou les douleurs physiques. Sur le plan émotionnel, l’épuisement perçu reste élevé jusqu’au 9e jour après course. La fatigue mentale, quant à elle, ne montre de diminution significative qu’à partir de la troisième semaine, soit à 21 jours après l’épreuve.
D’autre part, les dimensions psychologiques liées aux capacités physiques comme la sensation de forme ne commencent à remonter qu’à partir du 12e jour pour la récupération physique, et du 15e jour pour la sensation de forme. Le retour aux niveaux pré-course est observée autour de J+15 à J+21 selon les dimensions. Il est à noter que la récupération émotionnelle et sociale suit une trajectoire similaire, avec un creux marqué entre J+1 et J+6, puis une remontée progressive.

Cette étude révèle que le retour à un équilibre psychologique après un ultra ne suit pas une courbe linéaire. Le stress perçu diminue à partir de la fin de la première semaine, mais certains marqueurs (notamment la fatigue mentale et la récupération physique) nécessitent au moins deux à trois semaines pour se normaliser. L’étude de Gaudino et al., en 2019 est d’ailleurs venu confirmer cela dans le contexte du trail.
Récupération psychologique pendant 30 jours après l’UTMB
Dans cette étude, 29 coureurs de l’UTMB 2012 ont été suivis pendant un mois après la course, afin de décrire l’évolution de leurs états de stress et de récupération à l’aide du même questionnaire que précédemment, en version raccourcie. Ce dernier permet d’évaluer le stress général, le stress spécifique à la pratique sportive, ainsi que leur récupération. Les mesures ont été effectuées avant la course, immédiatement après l’arrivée, puis à 3, 7, 14, 21 et 28 jours post-course.
Entre l’arrivée et la fin des mesures à +28 jours, les résultats montrent une diminution progressive des états de stress, aussi bien dans leurs dimensions générales que spécifiques à la pratique sportive. Le stress perçu (total, général et spécifique) suit une trajectoire linéaire décroissante tout au long du mois, avec une amélioration continue qui semble se stopper vers J+28. Cette amélioration régulière contraste avec d’autres études où le stress se stabilise dès la deuxième semaine, et pourrait s’expliquer ici par les conditions extrêmes de l’édition étudiée (froid, neige, course raccourcie mais exigeante).
Du côté de la récupération perçue, les scores généraux et totaux montrent une amélioration linéaire tout au long du suivi, entre l’arrivée et la fin de l’expérimentation. En revanche, la récupération spécifique à l’activité présente une trajectoire surprenante. En effet, elle diminue dans les jours suivant la course, atteignant un point bas vers J+7, avant de remonter ensuite. Ce résultat peut sembler paradoxal, mais il s’explique probablement par la perception altérée des capacités sportives dans les jours suivant un ultra très exigeant. Par exemple, juste après la course, les coureurs ne se sentent ni en forme, ni prêts à performer à nouveau, ce qui pourrait faire chuter leur évaluation subjective de la récupération liée à la dimension sportive.
Enfin, cette étude ajoute que plus un coureur percevait la course comme menaçante, plus il avait tendance à ressentir un stress élevé et une faible récupération dans les jours qui suivent. À l’inverse, ceux qui se sentaient capables de gérer cet événement montraient des niveaux de stress plus faibles après la course. Ces résultats peuvent confirmer l’importance de l’état psychologique avant course sur la récupération après-course. Cette récupération, au niveau psychologique, pourrait être liée à un facteur clé, le sommeil, étudié dans l’article de Baron et al., en 2022.
Sommeil, fatigue et récupératiuon après un UTMB, des liens ?
Dans cette étude publiée, les auteurs ont suivi 19 finishers de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc (170 km, 10 000 m D+) pendant les 10 jours suivant la course, avec l’objectif de mieux comprendre les liens entre sommeil et récupération subjective. Les paramètres de sommeil ont été mesurés de différentes manières, avec des outils dits objectifs (p.ex. actigraphie) et d’autres subjectifs (p.ex. questionnaire).
Les résultats montrent une altération nette et prolongée de la forme perçue. Le questionnaire spécifique à cette dimension (Hooper) montre une dégradation significativement de son score après la course et reste supérieur aux valeurs de référence pendant 5 à 6 jours. Plus précisément, la fatigue perçue reste élevée jusqu’à J+6 et les douleurs musculaires jusqu’à J+4.
Du côté du sommeil, malgré la privation de sommeil associée à la course (environ 43 h d'effort pour les participants), aucune augmentation de la durée totale de sommeil n’a été observé dans les 10 nuits post-course. Cependant, la qualité du sommeil semble temporairement dégradée, avec un pic de fragmentation et de réveils nocturnes lors de la seconde nuit après l’arrivée. Il est important de noter que cette dégradation est corrélée aux niveaux de douleurs musculaires, ce qui suggère un lien direct entre l’inconfort physique, la qualité du repos, et la récupération.
En effet, la récupération perçue était étroitement corrélée aux paramètres de sommeil. Plus le sommeil est fragmenté, plus les scores de fatigue et de douleur sont importants. À l’inverse, les coureurs bénéficiant de nuits plus longues ou moins perturbées rapportent une meilleure récupération globale. Ces corrélations semblent souligner l’importance du sommeil comme levier central de la régénération après un ultra-trail.
Cette étude met en lumière le rôle essentiel du sommeil dans la récupération post-ultra, tout en soulignant que la récupération subjective complète nécessite au moins 6 jours. L’absence de rebond de sommeil malgré une dette importante questionne les contraintes sociales ou professionnelles qui peuvent freiner la récupération, en particulier chez les coureurs amateurs.
Conclusion : une récupération à deux vitesses, mais un même tempo
L’ensemble des études discutées montre que les marqueurs physiologiques et psychologiques ne suivent pas exactement la même courbe de récupération après un ultra-trail, mais qu’ils partagent une dynamique similaire en durée et en forme. Dans les deux cas, on observe un pic de perturbation dans les heures ou jours qui suivent la course, suivi d’une amélioration progressive des marqueurs.
Du côté physiologique, la majorité des fonctions neuromusculaires et des marqueurs inflammatoires reviennent à la normale entre 9 et 16 jours après l’épreuve. La fatigue centrale se résorbe elle rapidement, parfois dès J+2, mais les altérations périphériques profondes et certains biomarqueurs nécessitent souvent plus de deux semaines pour se stabiliser. Sur le plan psychologique, les études convergent vers des délais comparables. La fatigue mentale, les troubles du sommeil, le stress perçu ou la baisse de motivation suivent des trajectoires individuelles, mais les tendances générales suggèrent un retour à l’équilibre autour de J+15 à J+21.
À cela s’ajoute le rôle clé du sommeil, qui peut rester fragmenté, de mauvaise qualité, ou insuffisant durant plusieurs nuits, compromettant une récupération optimale. Au final, il semble raisonnable d’estimer qu’un délai de 15 à 21 jours est nécessaire pour que la plupart des marqueurs retrouvent un niveau proche de leur état de base. Ce délai doit évidemment être adapté au profil de l’athlète, à son âge, à son niveau d’entraînement, mais aussi à ses contraintes personnelles et professionnelles. L’enjeu n’est pas seulement de “reprendre” l’entraînement, mais de le faire sur une base réellement régénérée, permettant à la fois progression et longévité dans la pratique. Si votre récupération à vous demande plus de temps, pourquoi ne pas vous l’accorder ?
Et pour découvrir les stratégies qui permettent d’améliorer la récupération, rendez-vous dans un prochain article !
À retenir
La récupération physiologique et psychologique après un ultra prend au moins 15 à 21 jours.
Une amélioration partielle rapide de certains marqueurs ne signifie pas que l’entraînement peut reprendre.
Un sommeil de qualité et une gestion des douleurs musculaires peut améliorer la récupération.
Références bibliographiques
Baron, P., Hermand, É., Elsworth-Edelsten, C., Pezé, T., Bourlois, V., Mauvieux, B., & Hurdiel, R. (2023). Sleep and subjective recovery in amateur trail runners after the Ultra-Trail du Mont Blanc®(UTMB®). Journal of Science in Sport and Exercise, 5(2), 123-129.
Besson, T., Rossi, J., Mallouf, T. L. R., Marechal, M., Doutreleau, S., Verges, S., & Millet, G. Y. (2020). Fatigue and recovery after single-stage versus multistage ultramarathon running. Medicine & Science in Sports & Exercise, 52(8), 1691-1698.
Gaudino, M., Martinent, G., Millet, G. Y., & Nicolas, M. (2019). The time courses of runners’ recovery-stress responses after a mountain ultra-marathon: Do appraisals matter?. European Journal of Sport Science, 19(7), 876-884.
Millet, G. Y., Tomazin, K., Verges, S., Vincent, C., Bonnefoy, R., Boisson, R. C., ... & Martin, V. (2011). Neuromuscular consequences of an extreme mountain ultra-marathon. PloS one, 6(2), e17059.
Nicolas, M., Banizette, M., & Millet, G. Y. (2011). Stress and recovery states after a 24 h ultra-marathon race: A one-month follow-up study. Psychology of sport and exercise, 12(4), 368-374.