Bien gérer l’affûtage, de combien réduire ?
La période précédant une course est synonyme, pour beaucoup de coureurs, d’un arrêt, parfois presque total, de l’entraînement pour “être en forme”. Pourtant, il s’agit de la pire stratégie possible.
Qu’est-ce que l'affûtage ?
L’affûtage, ou tapering, est souvent présenté comme une simple phase de récupération précédant la compétition. Pourtant, il s’agit d’une séquence bien plus stratégique, à réfléchir plus finement qu'il n’y paraît. Dans une discipline comme le trail, où la fatigue, tant énergétique que musculaire, joue un rôle central, la manière dont on structure les dernières semaines peut drastiquement changer l’état de forme du jour J.
Depuis des années, la littérature scientifique s’est penchée sur cette phase particulière de la préparation aux courses. L’affûtage est aujourd’hui à mes yeux un sujet consensuel, sur lequel la majorité des experts en sciences du sport s’accordent, malgré quelques différences dans la mise en application. Ceci est en réalité permis par une littérature dense et convergente, qui a permis de dégager des modalités efficaces d’affûtage. Dans les grandes lignes, ces dernières sont fondées sur une réduction ciblée du volume d'entraînement, tout en maintenant l’intensité et la fréquence. Des méta-analyses solides ont permis de quantifier les gains attendus et d’identifier les paramètres les plus déterminants.
Mais une dimension encore largement sous-estimée commence à émerger : celle de l’impact psychologique de cette période. Car si l’affûtage vise à “recharger les batteries”, vulgairement, il peut aussi générer un stress mental spécifique, lié à la perte de repères, à la montée de l’enjeu, ou encore à la modification brutale de la routine d’entraînement. C’est cette double dimension — physiologique et psychologique — que je vous propose d’explorer ici, à partir d’une sélection de publications scientifiques sur le sujet.
L’affûtage : définition et objectifs
L’affûtage correspond à une réduction structurée de la charge d’entraînement sur une période donnée, généralement de quelques jours à trois semaines avant une échéance clé. Il ne s’agit ni d’un repos passif, mais d’un ajustement de l’entraînement destiné à créer les conditions d’une performance optimale.
L’objectif principal de cette phase est de diminuer la fatigue résiduelle tout en préservant les adaptations physiologiques construites au fil de la préparation. En résumé : (1) diminuer la fatigue ; (2) maintenir la forme. La difficulté de l’exercice réside précisément dans cet équilibre : alléger suffisamment la charge pour permettre la régénération, sans pour autant induire de désentraînement.
L’affûtage vise aussi l’état psychologique de l’athlète. Le relâchement physique attendu doit s’accompagner d’un soulagement sur le plan mental. Maîtriser cette période demande donc une compréhension fine de ses mécanismes, et une capacité à s’adapter au profil de l’athlète, à sa tolérance à la charge, à son niveau d’expérience et à ses signaux internes.
Les meilleures modalités de l'affûtage
Deux méta-analyses, menées à seize ans d’intervalle, ont posé les fondations d’une phase d’affûtage efficace. La première, proposée par Bosquet et al. en 2007, a servi de référence pendant plus d’une décennie. La seconde, plus récente, conduite par Wang et al. en 2023, confirme plusieurs années plus tard les grands principes tout en apportant quelques nuances, notamment sur la charge précédant le taper.
Bosquet et al. (2007) – Les modalités optimales
Dans cette méta-analyse de référence, les auteurs ont compilé 27 études menées sur des athlètes d’endurance compétitifs, dans l’objectif d’identifier les modalités d’affûtage associées aux meilleurs gains de performance. Leur premier résultat est qu’un affûtage bien structuré permet une amélioration moyenne de 2 % des performances.
Les auteurs identifient ensuite ce que sont les modalités optimales de cette phase. Tout d’abord, leurs analyses montrent qu’une réduction exponentielle (c.-à-d., brutale puis plus modérée) du volume d’entraînement est plus efficace qu’une réduction par escalier, ou progressive.
Ensuite, cette méta-analyse montre que pour être efficace, cette diminution doit être comprise entre 41 et 60 % du volume de la dernière semaine d’entraînement. De plus, elle souligne que la durée idéale de cette diminution est de 2 semaines.
Leurs analyses révèlent, enfin, que cette baisse du volume ne doit s’accompagner d’aucune réduction de l’intensité, ni de la fréquence hebdomadaire des séances. Autrement dit, c’est la quantité de travail qui diminue, mais ni la qualité ni la régularité ne doivent être changées.
Le maintien des intensités est une aspect crucial. Son maintien est indispensable pour entretenir les adaptations cardiorespiratoires et neuromusculaires. À l’inverse, une chute brutale de l’intensité, même accompagnée d’un volume conservé, conduit presque systématiquement à une baisse de performance.
Wang et al. (2023) – La surcharge stratégique
La méta-analyse de Wang et collègues, publiée en 2023, confirme les conclusions de Bosquet et al., 2007 en se concentrant spécifiquement sur des athlètes d’endurance entraînés. Là encore, les résultats convergent. Tout d’abord, une phase d’affûtage permet en effet une amélioration des performances le jour de la compétition.
Ensuite, les meilleurs affûtages reposent sur une réduction exponentielle du volume de 41 à 60 %, sur une durée de 8 à 21 jours, sans modification de l’intensité ni de la fréquence des entraînements.
Mais cette revue propose également un éclairage nouveau, en mettant en avant l’intérêt d’un bloc de surcharge pré-affûtage. En effet, dans plusieurs des études incluses, les protocoles les plus performants proposaient une augmentation transitoire de la charge – soit en volume, soit en intensité – dans la semaine précédant le début de l’affûtage. Cette dernière permettrait de créer un état de fatigue transitoire, que l’affûtage viendra ensuite dissiper. Cette surcharge doit cependant rester prudente et réfléchie. Ces auteurs parlent d’environ 20% d’augmentation de la charge lors de la dernière semaine pré-affûtage. Même si ces auteurs ne le précisent pas, avec ma casquette d’entraîneur je me permets de recommander une augmentation de la charge (charge = volume x intensité) uniquement à travers une augmentation du volume, sans changement dans les intensités.

Une autre confirmation que je trouve importante à souligner est que ces auteurs insistent à nouveau sur le fait que la baisse de l’intensité pendant le taper est associée à une stagnation, voire une dégradation de la performance. En revanche, les protocoles qui maintiennent des efforts proches ou légèrement supérieurs au rythme de course obtiennent les meilleurs résultats. Ce maintien de l’intensité semble favoriser, par exemple, une meilleure disponibilité neuromusculaire, et un maintien du VO2max jusqu’au jour J.
L’affûtage, une période souvent vécue comme stressante
La revue de Stone et al. publiée en 2023 dans Sports Medicine mentionne que les dernières semaines avant une compétition peuvent être vécues comme une phase où les athlètes sont traversés de doutes, de tensions, de besoins accrus de contrôle.
Dans cette revue systématique englobant 48 études, ces auteurs ont dressé un panorama inédit des recherches psychologiques menées sur l’affûtage. Cette synthèse fait émerger huit grands thèmes : l’évolution de l’humeur, la perception de l’effort, la fatigue perçue, l’équilibre récupération-stress, le taper comme source de stress, la tolérance au stress, la préparation mentale, et le fonctionnement cognitif.
Globalement, la littérature pointe une amélioration des états psychologiques durant l’affûtage. Les scores d’humeur, évalués la plupart du temps via le Profile of Mood States (POMS), tendent à s’améliorer significativement. Plusieurs études relèvent aussi une baisse du stress perçu et une meilleure qualité de sommeil. Mais cette période peut aussi être un facteur de stress à part entière. Certains athlètes rapportent par exemple une sensation de perte de repères, un inconfort face à la réduction d’activité, ou encore une augmentation des ruminations mentales à l’approche de l’échéance. Le sentiment d’inactivité ou l’incertitude sur sa forme du jour J, peut devenir contre-productive en rendant bancal l’équilibre entre relâchement et besoin de contrôle.
Les effets psychologiques de l’affûtage peuvent dépendre de la personnalité de l’athlète, du niveau de compétition, du degré de préparation mentale, mais aussi du climat émotionnel généré par l’entourage et le staff. Par exemple, chez certains profils anxieux, la réduction de l’activité peut majorer les inquiétudes.
Les auteurs soulignent que ces variables psychologiques pourraient jouer un rôle sur les adaptations physiologiques permises par l’affûtage. Un athlète qui se sent plus reposé et moins stressé pourrait bénéficier davantage des bénéfices de cette période. L’article conclut en avançant qu’une préparation mentale spécifique avant et pendant l’affûtage peut donc parfois être pertinente. Cette dernière pourrait cibler la mise en place de routines pré-compétitives, la gestion du stress, ou encore par une relecture structurée du processus d’entraînement, pour renforcer le sentiment de compétence des athlètes.
Un exemple pratique d’affûtage
De manière pratique, ces recommandations représentent, par exemple, une diminution du volume d’environ 40 % la première semaine précédent une compétition, comparativement à la dernière semaine d’entraînement, puis de 60 % la seconde semaine précédent la course, sans aucun changement dans les intensités ciblées pendant les entraînements ni dans la fréquence des entraînements. Notons que la phase d’affûtage se termine la veille de la course préparée. La dernière semaine pré-affûtage peut, quant à elle, voir sa charge (volume x intensité) augmentée de 20% par rapport à la semaine précédente.
Conclusion
En résumé, les aficionados de la borne à tout prix vont être déçus : parfois, s’entraîner moins est synonyme de meilleure performance. L’affûtage ne doit pas être perçu comme une période secondaire de la préparation, mais comme une phase clé de cette dernière, déterminante pour le niveau de performance le jour J. Les données issues de la recherche sont aujourd’hui convergentes et offrent des repères solides. Deux à trois semaines, une réduction exponentielle du volume, comprise entre 41 et 60 %, sans toucher ni à la fréquence ni aux intensités ciblés représentent les modalités les plus efficaces pour préserver les adaptations liées à l’entraînement, tout en dissipant la fatigue accumulée, soit les deux objectifs clés de l’affûtage. Pour optimiser ses bénéfices, cette phase peut être précédée d’une augmentation de 20% de la charge, mais surtout du volume, d’entraînement.
Cependant, cette recherche d’équilibre physiologique doit s’accompagner d’une attention particulière à la dimension psychologique de cette période. La baisse de charge peut générer de l’incertitude, de l’agitation mentale, voire une perte de confiance. S’il sont ignorés, ces impacts psychologiques peuvent limiter les bénéfices de l’affûtage. À l’inverse, un travail de préparation mentale réalisée par une professionnel qualifié (j’ai bien dit “qualifié”, vous retrouverez ici une liste de préparateur mentaux fiables, certifiés par la Société Française de Psychologie du Sport) peut renforcer la qualité de récupération mentale, et amplifier les effets physiologiques attendus.
À mon sens, c’est donc à travers cette double lecture, physique et mentale, que l’affûtage prend toute sa valeur. Et c’est là que se joue, souvent, la dernière étape vers une performance pleinement exprimée.
À retenir
Réduire le volume de 41 à 60 %, pendant 2 semaines sans changer les intensités ni les fréquences d’entraînement, permet un affûtage efficace.
Une surcharge contrôlée avant l’affûtage peut renforcer son efficacité.
L’état psychologique de l’athlète influence les bénéfices physiologiques de l’affûtage.
Références bibliographiques
Bosquet, L., Montpetit, J., Arvisais, D., & Mujika, I. (2007). Effects of tapering on performance: a meta-analysis. Medicine & Science in Sports & Exercise, 39(8), 1358-1365.
Stone, M. J., Knight, C. J., Hall, R., Shearer, C., Nicholas, R., & Shearer, D. A. (2023). The psychology of athletic tapering in sport: A scoping review. Sports Medicine, 53(4), 777-801.
Wang, Z., Wang, Y. T., Gao, W., & Zhong, Y. (2023). Effects of tapering on performance in endurance athletes: A systematic review and meta-analysis. PloS one, 18(5), e0282838.