"180 pas par minute" ... pas de preuves scientifiques solides
Présentée parfois comme la cadence de pas idéale pour prévenir les blessures en course à pied, la littérature semble plus tempérée que certains aficionados sur ces 180 pas/min.
Jim Walmsley et sa foulée bondissante, le contre exemple des 180 pas/min.
© Photo Simon Dugué
« Courir à une cadence de 180 pas par minute réduit le risque de blessure » Vous avez sans doute déjà entendu ce conseil. Mais d’où vient cette recommandation ?
Sa genèse remonte aux années 1980, lorsque le coach Jack Daniels aurait observé que des coureurs de haut niveau adoptaient une cadence proche de 180 pas par minute lors des Jeux Olympiques. Depuis, cette cadence est souvent présentée comme une sorte de graal universel : courir à 180 pas par minute permettrait de réduire les risques de blessures tout en améliorant la performance. Pourtant, cette recommandation repose principalement sur des observations empiriques et a été peu validée scientifiquement (Van Oeveren et al., 2024).
Aujourd'hui, ce message est surtout relayé par certaines organisations qui présentent cette cadence comme une cible à atteindre.
Cependant, la relation entre cadence de pas et prévention des blessures ou amélioration de la performance semble complexe. Par exemple, des études récentes ont mis en évidence que la cadence optimale varie selon les individus et est influencée par des facteurs comme la morphologie, la vitesse ou encore le niveau d'entraînement (Preece et al., 2019 ; Van Oeveren et al., 2019).
Courir à 180 pas par minute est-il donc vraiment universellement bénéfique ?
Je vous propose de discuter les études menées sur le sujet dans le contexte de la course à pied, avant de conclure avec une bifurcation par le trail, où la variabilité des terrains complique encore davantage les analyses.
Quelques bases biomécaniques
C’est quoi la fréquence de pas ?
La fréquence de pas, souvent appelée "cadence", désigne le nombre de pas effectués en une minute. Avec la longueur de pas, ces deux paramètres déterminent la vitesse de course. La relation est simple : vitesse = fréquence de pas × longueur de pas. Par exemple, un coureur qui effectue 180 pas par minute avec une longueur de pas de 1,5 m court à une vitesse de 16,2 km/h.
Lors de la course, chaque cycle de pas est constitué de deux phases principales : le temps de contact au sol (lorsque le pied touche le sol) et le temps de vol (lorsque le pied est en l’air). L’augmentation de la fréquence de pas tend à réduire la durée du temps de contact au sol et diminuer l’amplitude de chaque foulée, ce qui peut entraîner des changements dans les contraintes biomécaniques exercées sur le corps (Anderson et al., 2022).
La fréquence de pas est un paramètre changeant
Avant manipulation par une intervention (p. ex., métronome) plusieurs facteurs déterminent la fréquence de pas « naturelle » d’un coureur :
La vitesse de course : à mesure que la vitesse augmente, la fréquence de pas tend à s’élever. À basse vitesse, les coureurs adoptent souvent des fréquences inférieures à 160 pas par minute, tandis qu’à des vitesses proches du sprint, la cadence dépasse fréquemment 200 pas par minute. Il est intéressant de noter que la relation entre la fréquence de pas, leur longueur et la vitesse est curvilinéaire : la longueur augmente plus rapidement à des vitesses inférieures à 20 km/h, tandis que la fréquence augmente plus fortement au-delà de cette vitesse (Van Oeveren et al., 2024).
La morphologie : des jambes plus longues permettent généralement des foulées plus amples, soit une cadence plus basse (Preece et al., 2019). La masse corporelle et l’âge influencent également cette variable (Van Oeveren et al., 2019).
Le niveau d’entraînement : les coureurs expérimentés tendent à s’auto-optimiser pour trouver une cadence adaptée à leur style de course et leur morphologie (Padulo et al., 2012). Il est cependant intéressant de noter que, une fois la longueur des jambes contrôlée, Peerce et al., 2019 n'ont pas trouvé de différences significatives dans la cadence de pas entre les coureurs de haut niveau et les coureurs récréatifs.
Les caractéristiques musculaires et biomécaniques : les forces et faiblesses musculaires (par exemple, dominance des mollets ou des hanches) influencent aussi la cadence (Van Oeveren et al., 2024).
Le matériel : un coureur pied nu n’adoptera pas la même fréquence de pas qu’avec ses chaussures préférentielles ; il est d’ores et déjà crucial de clarifier que le delta entre ces deux cadences ne semble aujourd’hui, en l’état des connaissances, aucunement lié à la survenue des blessures.

Si la fréquence de pas varie en fonction d’autant de facteurs, pourquoi recommander une cadence universelle de 180 pas par minute ? Cette idée repose sur des données limitées et n’a pas été systématiquement validée pour tous les types de coureurs. Voyons tout d'abord ce que la littérature a démontré concernant l’augmentation de la cadence sur le risque de blessures, avant de parler spécifiquement des 180 pas par minute ; puis du trail.
Le changement de la fréquence de pas : des effets, mais modestes
Augmentation de la cadence et blessures
L’augmentation de la fréquence de pas est associée à une diminution des forces d’impact verticales et des impulsions de freinage. En effet, une cadence plus élevée réduit la longueur de pas et modifie l’angle d’attaque du pied au sol, ce qui peut limiter les charges mécaniques sur les articulations et les complexes muscles-tendons, comme l'a montré la méta-analyse de Anderson et al. (2022). Cette réduction des forces pourrait donc être intéressante pour les coureurs souffrant de blessures comme les tendinopathies, car elle limite les contraintes.
D'autres études ont montré que l’augmentation de la cadence pouvait être efficace pour gérer certaines pathologies, comme le syndrome fémoro-patellaire. Par exemple, une augmentation de 10 % de la fréquence de pas a entraîné des réductions significatives des douleurs fémorales chez des coureurs blessés (Doyle et al., 2022). De manière similaire, les tendinopathies d’Achille pourraient être soulagées grâce à une cadence élevée (Lyght et al., 2016).

Il est cependant important de noter que toutes les études, et surtout les deux méta-analyses citées (Anderson et al., 2022 et Doyle et al., 2022), insistent sur le fait que les preuves actuelles sont limitées, notamment concernant les effets à long terme. La majorité des études existantes se concentrent sur les effets immédiats ou à court terme des ajustements de cadence. De plus, les résultats peuvent varier considérablement, entre autres, selon les populations étudiées (coureurs récréatifs versus élites, Anderson et al., 2022 ; Van Oeveren et al., 2024). En d'autres termes, si les premiers résultats semblent encourageants, les bénéfices de l'augmentation de la fréquence de pas ne sont pas si tranchés que nous pourrions le croire.
Les auteurs s’accordent à dire que pour minimiser les risques de blessures liés à des ajustements brusques, l’augmentation de la cadence doit être progressive et individualisée. Les outils comme les montres peuvent aider à surveiller et ajuster ces changements, garantissant une transition progressive (Anderson et al., 2022).
Augmentation de la cadence et performance
Un des effets de l’augmentation de la cadence est l’augmentation simultanée, temporaire en tout cas, du coût du déplacement. En effet, les muscles locomoteurs doivent fournir davantage d’efforts pour maintenir des mouvements plus fréquents (Doyle et al., 2022).
Avec un entraînement progressif, les ajustements neuromusculaires permettent de compenser ce surcoût énergétique initial. Ces adaptations, souvent observées après plusieurs semaines, rendent alors la nouvelle cadence, augmentée, plus efficace (Heiderscheit et al., 2011).
Les coureurs amateurs, souvent sujets à des foulées trop longues, bénéficieraient davantage de cette stratégie. En revanche, les coureurs élites conservent souvent une performance optimale avec leur cadence habituelle, en raison d’un style de course déjà optimisé (Preece et al., 2019 ; Van Oeveren et al., 2024).
Le cas spécifique des 180 pas par minute
Si les études suggèrent que l’augmentation de la fréquence de pas naturelle de 5 à 10 % peut parfois être bénéfique, notamment pour réduire les douleurs liées à certaines pathologies comme le syndrome fémoro-patellaire ou les tendinopathies, les 180 pas par minute en tant que valeur fixe n’ont jamais été explorés directement dans la littérature scientifique. Ce chiffre, popularisé par des observations empiriques, reste une référence historique sans validation spécifique pour tous les profils de coureurs. Il me semble donc intéressant de l’approcher avec prudence.
Et en trail ?
En trail, la biomécanique de course est en perpétuelle adaptation en raison des variations du terrain. Montées, descentes, passages techniques : chaque situation impose des ajustements de la fréquence et de la longueur de pas. Contrairement à la course sur route, ces fluctuations rendent encore plus difficile l’application de recommandations standardisées, comme les 180 pas par minute.
Si les données sur la fréquence de pas en course sur terrain plat sont déjà rares, elles sont quasi inexistantes pour le trail. Ainsi, les connaissances sur l’optimisation de la fréquence de pas en trail restent largement spéculatives. En montée, une augmentation de la cadence pourrait réduire la fatigue musculaire en limitant la charge appliquée sur les quadriceps. À l’inverse, en descente, ajuster la cadence permettrait de réduire les forces d’impact. Ces ajustements, bien qu’intuitifs, pourraient être une première base de réflexion sur le sujet de la cadence en trail spécifiquement.
Conclusion : Faut-il viser le graal des 180 pas par minute ?
Si les recherches montrent que l’augmentation de la fréquence de pas peut avoir des bénéfices, notamment pour réduire les forces d’impact et prévenir certaines blessures, la recommandation universelle des 180 pas par minute n’est à ce jour pas soutenue par des preuves scientifiques solides. La cadence optimale dépend de nombreux facteurs : morphologie, vitesse, niveau d’entraînement et contexte, comme le trail où les ajustements sont constants.
Dans le cadre de la prévention des blessures, les études les plus robustes, inclues dans les méta-analyses citées, parlent plutôt, lorsque cela est nécessaire, d’une augmentation de la cadence entre 5 et 10% par rapport celle adoptée habituellement avec chaussures (Anderson et al., 2022) (et non par rapport à celle adoptée en courant pieds nus, comme il est parfois dit).
Plutôt que de viser un chiffre précis, il est plus pertinent de se concentrer sur des ajustements progressifs, adaptés à ses besoins individuels, le tout en fonction des situations. Il est par exemple possible que le changement de cadence de course soit inutile en l’absence de blessure que ce type d’adaptation prévient.
À retenir
L’augmentation de la fréquence de pas peut prévenir les blessures en réduisant les forces d’impact.
Les 180 pas par minute ne sont pas une règle universelle, mais une référence historique qui manque de fondement scientifique.
Une cadence optimale est individuelle et contextuelle, notamment en trail où les variations de terrain imposent des ajustements constants.
Références bibliographiques
Anderson, L. M., Martin, J. F., Barton, C. J., & Bonanno, D. R. (2022). What is the effect of changing running step rate on injury, performance and biomechanics? A systematic review and meta-analysis. Sports Medicine-Open, 8(1), 112.
Heiderscheit, B. C., Chumanov, E. S., Michalski, M. P., Wille, C. M., & Ryan, M. B. (2011). Effects of step rate manipulation on joint mechanics during running. Medicine and science in sports and exercise, 43(2), 296.
Lyght, M., Nockerts, M., Kernozek, T. W., & Ragan, R. (2016). Effects of foot strike and step frequency on Achilles tendon stress during running. Journal of applied biomechanics, 32(4), 365-372.
Padulo, J., Annino, G., Migliaccio, G. M., D'Ottavio, S., & Tihanyi, J. (2012). Kinematics of running at different slopes and speeds. The Journal of Strength & Conditioning Research, 26(5), 1331-1339.
Preece, S. J., Bramah, C., & Mason, D. (2019). The biomechanical characteristics of high-performance endurance running. European Journal of Sport Science, 19(6), 784-792.
Van Oeveren, B. T., De Ruiter, C. J., Hoozemans, M. J. M., Beek, P. J., & Van Dieën, J. H. (2019). Inter-individual differences in stride frequencies during running obtained from wearable data. Journal of sports sciences, 37(17), 1996-2006.
Van Oeveren, B. T., de Ruiter, C. J., Beek, P. J., & van Dieën, J. H. (2024). The biomechanics of running and running styles: a synthesis. Sports biomechanics, 23(4), 516-554.